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Le fantastique échec du libéralisme

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1847 10 octobre 2008
La chute du mur de Berlin, en 1989, symbolisa le naufrage économique et politique du communisme. Les sept cent mille millions demandés par le président américain pour sauver l’économie américaine et mondiale victime du marché libre ne symbolisent pas avec moins de force l’échec symétrique du libéralisme.

Dans la perspective libérale, la liberté individuelle fonde l’ordre social. La lutte pour la vie débouche sur la sélection des meilleurs, des plus inventifs, des moins chers. chacun a sa chance et porte la responsabilité de ce qu’il en fait. L’échec individuel est la sanction immanente de la loi du marché. c’est une sanction juste, car le marché a toujours raison.

Au fond, que veut dire «le marché a toujours raison», si ce n’est que celui qui parle s’interdit tout jugement politique ou moral sur les faits: la raison du plus fort est toujours la meilleure!

Les «néo-libéraux» ont radicalisé le discours, fanfaronnant sur la responsabilité individuelle, proclamant les vertus purificatrices de la concurrence illimitée et de la «destruction créative», prônant l’ouverture totale des marchés. Une race nouvelle d’entrepreneurs est apparue, non des bâtisseurs et des patrons, mais des aventuriers à l’affût du «coup», des desperados cherchant la faille dans le système. Avec une témérité et une cupidité centuplées par l’ordinateur, ils ont joué au mondiopoly, au poker tricheur, au jeu de l’avion, au domino fou, mais aussi à des jeux infiniment plus abstraits. ils ont spéculé sur la spéculation, à l’infini. La monnaie, moyen des échanges, est devenue l’objet propre de leur activité économique, à l’exclusion de toute création de richesse, de tout service rendu. On disait autrefois «la fortune anonyme et vagabonde» pour désigner le capitalisme international. c’est aujourd’hui «le cash virtuel et délocalisé».

Et puis, les cartes leur ont glissé des mains. Le désordre et le hasard ont pris le dessus et imposé leurs règles, ou plutôt leur absence de règles. Personne ne sait ce qui va se passer, voire ce qui se passe. Le marché a peut-être toujours raison, mais son discours est incompréhensible: c’est la raison du plus chanceux qui est aujourd’hui la meilleure.

Alors, ils se sont servi un dernier bonus, ultime coup de pioche dans la coque du navire en perdition. ils ont lâché le gouvernail, abandonné les passagers et, toute honte bue, tendu la main à cet Etat qu’ils n’avaient cessé de vilipender.

La gauche revient en force, ressassant les idées pourries qui ont conduit tous les régimes socialistes au naufrage politique et social: haine du patron, obsession du Progrès, confiance absolue dans la bureaucratie d’Etat.

Les défenseurs du libéralisme économique présentent leur plaidoirie. Le libéralisme n’est pas en cause, estimentils. La situation actuelle n’est qu’une dérive due à des incompétents, des irresponsables et des voyous. il existe un libéralisme humaniste et c’est à lui qu’il faut se référer pour édicter des règles, fixer des limites, prévoir des freins. il faut, tous les commentateurs libéraux l’affirment, moraliser l’économie pour remettre le «système mondial» sur pied. c’est bien gentil, mais quelles règles? quelles limites? quels freins? Et surtout, quel pouvoir pour les faire respecter?

En attendant, il faut essayer de sauver les meubles. Le plan du président Bush n’est pas conforme aux lois du marché, lequel exigerait que la situation se purge d’elle-même. Doit-on le lui reprocher? Sa fonction est d’abord de protéger les Etats-Unis d’Amérique, non de garantir la pureté doctrinale du jeu économique. Mais le plan Paulson suffira-t-il à corriger la «dérive» du système? Au moment où nous mettons sous presse, le marché, qui a toujours raison, semble en douter.

Dans tous les cas, ce plan ne suffira pas à remettre sur pied le «système économique mondial». ne serait-ce que parce que ce prétendu système n’existe pas. il n’existe à la vérité qu’un épouvantable désordre mondial né sur les ruines de ces protections politiques, économiques et sociales que les libéraux au nom de la liberté et les socialistes au nom de l’égalité ont condamnées comme autant d’obstacles «protectionnistes».

Ces entraves incontestables à la liberté individuelle absolue servaient d’abord, on l’avait oublié, à donner un sens plus complet à l’activité économique, à limiter les appétits individuels, à freiner l’embrasement de la bourse. Elles conservaient à l’économie sa juste place dans les affaires humaines, qui est seconde par rapport à la politique.

Ce sont ces entraves protectrices qu’il appartient au politique de préserver, de renforcer ou de recréer. Le marché n’a le dernier mot que quand la politique se tait.

La primauté de l’ordre politique que nous affirmons ici n’a rien à voir avec une quelconque planification étatique. Elle signifie simplement que le cadre naturel pour la fixation des règles du jeu économique, et en particulier celles de la concurrence, est la communauté nationale. Dans le cadre national, les comportements économiques se conforment aux mentalités du lieu et aux usages en vigueur. cela n’empêche pas les échanges internationaux, ni les investissements par-dessus les frontières, mais impose aux entreprises étrangères de respecter les normes en vigueur dans le pays d’accueil. c’est l’inverse exact du principe du «pays d’origine» cher à M. Bolkestein, selon lequel les prestataires de service doivent être rémunérés non selon les règles du pays où ils travaillent, mais selon celles du pays d’où ils proviennent. On se rappelle les ouvriers chinois qui travaillaient en Suisse à moins de huit francs de l’heure. Bolkestein, ou comment importer la délocalisation!

Contre le libéralisme et le socialisme, il faut affirmer une solidarité réelle entre les employeurs et les employés. cette solidarité est davantage qu’une simple sourdine mise à la lutte des classes. il s’agit d’un intérêt commun positif, la bonne marche des entreprises qui les font vivre les uns et les autres. cette communauté professionnelle n’apparaît pas d’emblée. il faut la vouloir, la créer et l’entretenir, par le moyen du dialogue social et des conventions collectives dans le cadre de la paix du travail.

Contre la commission de la concurrence, il faut affirmer qu’il peut y avoir un intérêt général à une limitation de la concurrence entre entreprises du même domaine. Les accords cartellaires sur la production, la distribution, la vente évitent qu’on n’aboutisse trop souvent au monopole, comme on l’a vu ces dernières années. ils empêchent aussi que la concurrence ne porte que sur des considérations à court terme, principalement les prix, au détriment de la qualité des produits, du travail et du service après-vente.

Quant à l’Etat souverain, il a pour tâche de défendre cet ensemble de communautés face aux pressions de l’extérieur. il garantit la légalité et le respect des accords sociaux. Dans certaines conditions, il étend la force obligatoire des contrats collectifs. il s’assure que les méthodes de vente respectent la loi et les moeurs. il veille à ce qu’aucun des acteurs économiques, ni un syndicat, ni un cartel, ni une entreprise ne devienne un Etat dans l’Etat.

Toutes ces règles économico-politiques sont complexes et coûteuses. Elles demandent un effort permanent à tous les acteurs de l’économie. Surtout, péché suprême aux yeux de l’ordinateur et des yuppies pressés de faire carrière, elles ralentissent le jeu du marché. Mais ce ralentissement est le prix à payer pour que l’ensemble des aspects humains de l’économie soient pris en compte. Dans cette perspective, la liberté d’entreprendre, la propriété privée et la concurrence n’en subsistent pas moins, mais cadrées et orientées dans la perspective du bien commun, celui des employeurs et des employés, celui de l’entreprise, celui des cartels, celui des Etats cantonaux et de leur confédération.

Mais on sort ici du libéralisme.

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