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Le retrait conditionnel d'une initiative populaire

Julien Le Fort
La Nation n° 1864 5 juin 2009
Le Parlement fédéral cherche décidément à compliquer les instruments de la démocratie directe. Après l’idée géniale et avortée de l’initiative populaire générale, voici le «retrait conditionnel d’une initiative en cas d’adoption d’un contre-projet indirect» (en abrégé: le retrait conditionnel).

Le retrait conditionnel devrait fonctionner comme suit:

Un comité d’initiative a récolté 100’000 signatures pour son initiative, il l’a déposée à la Chancellerie. Le Parlement la traite et décide d’adopter un contre-projet indirect sous forme de modification de loi (évitant ainsi une modification constitutionnelle). Une fois le contreprojet adopté par le Parlement, le comité d’initiative peut déclarer qu’il retire son initiative à condition que le contre-projet ne soit pas mis en échec par un référendum.

Le retrait conditionnel est le fruit d’élucubrations du Conseiller aux Etats Filippo Lombardi. Celui-ci prend argument de l’initiative «Eaux vivantes»: le comité serait prêt à retirer son initiative car il est satisfait du contre-projet indirect. Il y renonce toutefois par crainte que le contre-projet ne soit attaqué en référendum par les milieux économiques. M. Lombardi veut alors faire adopter le retrait conditionnel en urgence, à la session d’hiver 2009, pour permettre au comité «Eaux vivantes» de retirer son initiative. Dans une Confédération habituée à un processus législatif lent, cette précipitation rend suspicieux.

Ce qui est intéressant, c’est que l’initiative «Eaux vivantes» visée par M. Lombardi prône la renaturation des cours d’eau; cette initiative embarrasse les producteurs d’électricité hydraulique car elle les limite dans leur activité. Or on constate sur internet qu’il existe une société nommée Lombardi SA Ingénieurs conseils, présidée par un certain Giovanni Lombardi – père de M. Filippo Lombardi – et que cette société est spécialisée dans la construction de tunnels et de barrages et membre collectif du comité suisse des barrages.

Nonobstant cela, l’idée du conseiller aux Etats Lombardi est reçue par le parlement fédéral comme parole d’Evangile: la commission des institutions politiques du Conseil des Etats a décidé à l’unanimité d’y donner suite; la commission correspondante du Conseil national a fait de même à 23 voix contre 1.

Il faut savoir que, lorsque le Parlement fédéral adopte un contre-projet indirect (et donc législatif) à une initiative, le peuple et les cantons votent d’abord sur l’initiative, afin de clarifier la situation sur le plan constitutionnel. Ensuite seulement, en cas de référendum, on vote sur le contre-projet indirect.

L’argument utilisé en faveur du retrait conditionnel est que celui-ci permet d’éviter des campagnes de votation coûteuses lorsque le Parlement se rallie au comité d’initiative sur le fond. L’argument du coût est secondaire en matière d’exercice de la démocratie directe. De plus, nous voyons au moins deux tares majeures au système du retrait conditionnel.

Premièrement, il crée la possibilité de lancer une initiative populaire strictement en vue de négociations. En effet, avec le mécanisme du retrait conditionnel, le comité d’initiative ne cherchera plus à faire passer une initiative qu’il a rédigée et qu’il estime juste, il cherchera plutôt à «obtenir quelque chose». Il rédigera donc une initiative maximaliste pour obtenir un résultat qui corresponde à ses attentes véritables.

Secondement, le retrait conditionnel affaiblit la démocratie directe: si une initiative est «conditionnellement retirée» au profit d’un contre-projet indirect, le vote du peuple et des cantons est courtcircuité. En effet, sans la possibilité du retrait conditionnel, il y a fort à parier que les initiants auraientmaintenu leur initiative et que peuple et cantons auraient eu l’occasion de se prononcer. Le retrait conditionnel renforce alors le pouvoir du parlement fédéral contre le peuple et les cantons.

Nous nous opposerons à l’initiative parlementaire deM. Lombardi. Si un référendum est lancé, nous le soutiendrons. Et puis, avouons-le, ce serait amusant de voir le timing serré de M. Lombardi réduit à néant par un référendum des plus légitimes.

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