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Les Gurrelieder à Montreux

Jean-Blaise RochatLa page littéraire
La Nation n° 1897 10 septembre 2010
L’événement de la rentrée musicale — et peut-être de la saison! –, c’est assurément l’exécution à l’auditorium Stravinski des Gurrelieder de Schönberg. Je sais que je viens d’écrire le nom fatal qui fera reculer quelques-uns de nos lecteurs mélomanes. «Schönberg! le cacophoniste à douze sons! le monomaniaque de la note d’à côté! le bourreau de nos oreilles mozartiennes!» Tant pis pour eux: ici tout est tonal et l’hymne final éclate dans un rayonnant ut majeur. Créé à Vienne en 1913 sous la direction de Franz Schreker, ce chef-d’oeuvre colossal fut le seul succès public de son auteur.

La relative rareté des exécutions de cette partition rédigée sur quarante-huit portées est due à son gigantisme: six solistes vocaux, trois choeurs d’hommes à quatre voix, un choeur mixte à huit voix, un orchestre d’environ cent cinquante instrumentistes sont nécessaires pour déployer la démesure de ce monument du post-romantisme. Le langage et les proportions du morceau le placent dans le voisinage de Wagner, Mahler, Busoni ou Richard Strauss; c’est-à-dire qu’il ne choquera personne, d’autant plus que Schönberg, orchestrateur génial, utilise cet effectif monstrueux mais jamais boursouflé avec goût et parcimonie: certains passages ne sont guère éloignés des délicatesses de l’impressionnisme français. Les Gurrelieder, c’est de la musique de chambre… un peu augmentée. L’oeuvre est conçue comme un cycle de lieder, organisé dans l’esprit d’une ballade dont les lointains modèles seraient celles de Schumann ou Das klagende Lied de Mahler.

Le texte est emprunté à une légende médiévale nordique, restituée dans le goût «gothique XIXe» par un poète danois, Jens Peter Jacobsen, auteur fort estimable, d’ailleurs vénéré par Rilke. Cette légende raconte l’amour du roi Waldemar pour la jeune Tove, assassinée par Helwig, la reine jalouse. Waldemar, révolté contre Dieu, est condamné à chevaucher sans espoir et sans répit avec ses guerriers morts. La fin, très lumineuse, offre une perspective de rédemption sous le signe romantique de l’harmonie avec la nature.

L’oeuvre est un bric-à-brac sublime de deux heures où se rencontrent le lied romantique, le poème symphonique, la chanson populaire, la cantate, le mélodrame en Sprechgesang, l’air d’opéra… L’hétérogénéité stylistique est le fruit d’une composition étalée sur une dizaine d’années (1900-1910). Schönberg écrivait avec rapidité, mais la partition est restée longtemps en chantier principalement pour des raisons pécuniaires: en effet, un des plus grands génies de la musique était contraint de gaspiller son temps à orchestrer des opérettes pour nouer les deux bouts. Ainsi, nous parcourons la décennie d’un créateur fécond, qui va de La Nuit transfigurée aux confins des audaces du Pierrot lunaire.

Pas moins de trois cents musiciens devraient assurer le succès de cette audacieuse entreprise dimanche prochain: l’Orchestre de la Suisse romande, la Tonhalle de Zurich, le Norddeutscher Rundfunk Chor, le Choeur du Grand Théâtre de Genève, le Choeur d’Etat de Lettonie, et six solistes. David Zinman, chef titulaire de la Tonhalle, dirige tout ce monde. Il est rompu à ce répertoire, puisqu’il est en train d’enregistrer une intégrale des symphonies de Mahler avec son orchestre.

 

Die Gurrelieder, dimanche 12 septembre, 18h00, dans le cadre du Septembre musical du Festival de Montreux-Vevey.

Une session de rattrapage est prévue pour les malheureux qui auraient manqué l’événement: mardi 14 septembre, 19h30 à Lucerne, Konzertsaal. Lucerne Festival im Sommer.

Les Gurrelieder sont assez bien représentés au disque, malgré leurs exigences exorbitantes. Il n’y a pas de ratage notoire à signaler. On recommande, pour une dépense modeste, la version classique de Seiji Ozawa, enregistrement public de 1979, avec James McCracken, Jessie Norman, Tatiana Troyanos et le Boston Symphony Orchestra.

Le roi Waldemar a existé et les ruines de son château de Gurre sont visibles près de Helsingør, au nord de Copenhague.

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