Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Roger Pache (1909-2000) «Un idéal exempt d’idéologie»

Jean-Philippe Chenaux
La Nation n° 1901 5 novembre 2010
Il y a dix ans, le Payernois Roger Pache (1909-2000) quittait la cité de la Reine Berthe pour un monde que l’on dit encore meilleur, laissant à ses amis et à ses proches pas moins de quatre volumes de Rencontres et souvenirs édités à compte d’auteur, soigneusement reliés et richement illustrés. Cet élève de Marcel Regamey et de Gustave Thibon était un journaliste indépendant «de la vieille école». Il fut pendant plus de trente ans le seul correspondant des quotidiens romands dans la Broye et pendant plus de trois lustres le délégué régional de la Ligue vaudoise dans ce district. L’homme, au caractère vif et parfois tranchant (il avait horreur des compromis), ne laissait personne indifférent.

Il naît à Lausanne le 27 novembre 1909, mais passe toute son enfance à Payerne. A la fin de sa scolarité primaire, il apprend l’allemand à Bâle chez un réviseur d’ascenseurs où il travaille comme manoeuvre (1924), puis il effectue dans cette ville un apprentissage de boulanger-pâtissier et y occupe un premier emploi d’ouvrier boulanger. Il fréquente l’Union chrétienne de jeunes gens de langue française de Bâle, où il prend conscience de sa nationalité vaudoise. Il est aussi l’un des membres fondateurs de la «Tribu des Sénécas», éclaireurs romands de Bâle, où il se lie d’amitié avec le futur grand reporter Fernand Gigon, lui-même routier (scout aîné) de ladite tribu, qui lui fait connaître Ramuz et lui communique le goût de l’opéra en lui chantant un air de la Traviata. Lecteur assidu de la Gazette de Lausanne, il se passionne pour la politique étrangère. En 1927, il fait un timide début dans le journalisme en confiant un premier article à L’Eclaireur puis, toujours de Bâle, envoie son premier «papier» au Journal de Payerne, qui paraît le 21 décembre 1928.

Revenu à Payerne en 1930, Pache s’y installe, deux ans plus tard, comme patron boulanger-pâtissier. Sa boulangerie du Pont va devenir rapidement le point de ralliement de nombreux amateurs de musique, de peinture, de littérature et de politique.

Scout dans l’âme (Baden-Powell lui a dédicacé trois livres dans un camp d’été à Kandersteg), il dirige la troupe des éclaireurs locale d’abord dénommée «Tribu des Mohicans», puis «Troupe Reine Berthe». Il épouse en 1934 Germaine Combremont, de Grandcour, qui lui donne quatre enfants.

Il collabore activement au Journal de Payerne, bihebdomadaire libéral où s’exprime aussi Henri Perrochon, son aîné de dix ans. En 1936, il y évoque avec lucidité «le sans-gêne de l’Allemagne» (10 mars), «le danger allemand» (12 mai) et «Hitler et son programme d’après Mein Kampf» (29 mai).

En janvier de la même année, il entre en contact avec La Nation après avoir assisté à une conférence de la Ligue vaudoise. En 1937, il adhère à ce mouvement et en sera le délégué régional pour la vallée de la Broye jusqu’en 1952. Elu sur une liste du parti libéral, il est membre du Conseil communal de Payerne de 1937 à 1941, mais il renonce à se représenter et quitte le parti à la suite de désaccords.

En juillet 1945, avec quelques amis de la Ligue vaudoise, il reçoit à Payerne Bertrand de Jouvenel, qui présente Du pouvoir, ouvrage publié aux Editions du Cheval Ailé, à Genève. Devenu chroniqueur à la Gazette de Lausanne et à Curieux, l’écrivain français donnera encore deux conférences à Payerne jusqu’en 1951. Il qualifiera de «socratique» l’image du boulanger Pache lisant Aristote tout en faisant cuire son pain.

Roger Pache invite aussi à Payerne Gustave Thibon; de 1947 à 1957, le philosophe français y prend pas moins de dix-sept fois la parole, sur les quelque cinquante conférences organisées dans l’ensemble du Canton! A l’instar de Jouvenel, le penseur protestant et anticommuniste René Gillouin ne donne, lui, «que» trois conférences à Payerne. Le boulanger-journaliste reçoit aussi chez lui, entre autres, le compositeur Aloÿs Fornerod et l’écrivain neuchâtelois Willy Prêtre, auteur de Tocsins dans la nuit.

Il est le correspondant de Payerne, puis de la Broye, de la Feuille d’Avis de Lausanne (1949-1983) ainsi que, dès 1950, de la Tribune de Lausanne (14 ans), de la Gazette de Lausanne (25 ans), de La Suisse (25 ans) et, dès 1957, de L’Express et de la Feuille d’Avis de Neuchâtel (26 ans). Il est aussi le premier correspondant de La Liberté pour la Broye vaudoise (1957-1982).

Ce n’est qu’en 1958, à l’âge de 49 ans, qu’il abandonne définitivement sa boulangerie pour devenir journaliste indépendant à plein temps. Pilier du bihebdomadaire libéral, il travaille aussi pour la très radicale Feuille d’Avis du district de Payerne (FAP) – Le Démocrate, qui lui demande surtout des chroniques judiciaires, et pour l’Almanach de la Broye, édité aujourd’hui par le CIB, à Estavayer-le-Lac, en étroite collaboration avec la rédaction de La Broye Hebdo.

L’ATS le sollicite dès que quelque chose d’important se passe à Payerne. En dehors des médias susmentionnés, il collabore encore à La Nation (dès 1945), au Pamphlet (dès 1976, sous le pseudonyme de François Rouge), parfois même aux hebdomadaires français Rivarol et Aspects de la France.

A partir de 1985, Roger Pache livre ses souvenirs de journaliste dans quatre ouvrages bien documentés, à verser à l’histoire de la Broye. Le premier tome lui vaut la «médaille d’or de l’Etoile civique», à Paris, en 1987. Dans le quatrième tome, publié lui aussi à l’enseigne du Comte-Vert et intitulé Mais que s’est-il donc passé à Lausanne en janvier 1798? Pourquoi l’histoire vaudoise a-t-elle été occultée?, on découvre des révélations du professeur Louis Junod, ancien archiviste cantonal, sur ce mois décisif de l’histoire vaudoise, ainsi que des notes biographiques sur celui qui se dépeint lui-même comme un «Vaudois non conformiste égaré dans le XXe siècle».

Un an auparavant, il est devenu le cofondateur du Scribe du P’tit Broyard, dans lequel il anime la rubrique «Parlons français». Son coéquipier n’est autre que Michel Dizerens, de Granges- Marnand, qui signe alors des billets d’humeur dans le Démocrate sous le nom de «Didi». Pour assurer une plus large diffusion à cette brochure littéraire trimestrielle, Le Scribe simplifie son titre et se constitue en association; celleci est présidée aujourd’hui par Francis George-Perrin, écrivain public et collaborateur du Journal de Moudon, alors que Michel Dizerens occupe le poste de secrétaire général. Les brochures initiales ont fait place à des livres, paraissant au rythme de deux par an. L’Association Le Scribe, forte de quelque 250 membres, a créé un prix littéraire dont le 10e a été attribué – cela ne s’invente pas! − le 10.10.10, à 10 h.10, à 1510 Moudon… Une septantaine de manuscrits était en lice. Le jury était coordonné par Michel Dizerens. C’est le texte «Alice et Antoine» de Patrick Chambettaz, de Marly, qui sera édité. Des «Scribes d’or» ont en outre été attribués à Jean-Luc Chaubert, de Corcelles, et à Clémentine Lämmler, de Payerne. Là encore, Roger Pache aura fait oeuvre utile.

L’homme professait qu’«il n’y a pas d’idées généreuses, mais des idées justes et des idées fausses, ces dernières dont le monde se nourrit actuellement étant un poison mortel pour l’humanité». Son vieil ami Thibon dira que «pendant un demi-siècle, il a été le témoin fidèle du même idéal politique et religieux – d’un idéal exempt d’idéologie, fixé là sur une claire vision de la nature de l’homme et des choses». Le Journal de Payerne rendra hommage à «une figure légendaire, un homme d’action doublé d’un journaliste d’investigation hors pair». La Liberté de Fribourg rappellera pour sa part qu’«il a toujours pris comme critère l’intérêt général et pratiqué largement l’autocensure». N’affirmait-il pas que «la meilleure des censures est encore celle qu’on pratique à l’égard de soi-même»? Le fait est qu’il n’aimait pas «ces journalistes qui déballent sans vergogne le plus petit scandale sans se soucier des conséquences funestes que cela peut avoir sur la vie familiale ou sur celle de l’individu». Comme il a eu de la chance de partir avant l’invasion du journalisme de dénonciation, l’épanouissement de la presse «people», sans parler de la disparition ou de la fusion d’une demi-douzaine de journaux broyards!

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: