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Faire le saut

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1920 29 juillet 2011
En acceptant leur nouvelle constitution le 22 septembre 2003, les Vaudois accordaient du même coup aux étrangers le droit de vote et d’éligibilité sur le plan communal. Les conditions posées étaient que l’étranger devait résider en Suisse depuis dix ans au moins et habiter le Canton depuis trois ans au moins. Le 4 septembre prochain, les Vaudois diront s’ils acceptent l’initiative qui propose, aux mêmes conditions, d’étendre ce droit au plan cantonal.

Cette initiative a été lancée sous le slogan «Vivre et voter ici». Les initiants invoquent quatre arguments principaux. Le premier se veut logique: selon eux, vu l’interpénétration des politiques des communes et du Canton, le droit de vote communal appelle tout naturellement le droit de vote cantonal. Ensuite, l’étranger qui travaille et paie ses impôts ici doit pouvoir voter sur des orientations politiques dont certaines le concernent directement. Troisièmement, l’exercice des droits politiques favorisera l’intégration. Enfin, certains Etats ne reconnaissent pas la double nationalité, ce qui fait que leurs ressortissants perdent leur nationalité d’origine en devenant suisses, ce qui constitue un sacrifice excessif aux yeux des initiants.

Il y a effectivement une logique entre la décision d’accorder aux étrangers le droit de vote sur le plan communal et l’extension cantonale qu’on nous demande d’accepter dans quelques semaines. Mais c’est la logique de la dégringolade, que nous avions d’ailleurs annoncée dès le début. Le pas suivant sera, toujours au nom de la continuité et avec exactement les mêmes arguments, le vote des étrangers sur le plan fédéral: c’est ainsi que des non nationaux pourraient se prononcer sur des questions vitales concernant la souveraineté suisse, son adhésion à des traités supranationaux ou sa défense armée. C’est précisément à cause des retombées absurdes de cette logique dégringolante qu’il faut arrêter les frais dès maintenant.

Les étrangers qui travaillent chez nous paient, comme de juste, leurs impôts chez nous. En contrepartie, outre le fait non négligeable qu’ils ont le droit de travailler sur notre sol, ils bénéficient des infrastructures sociales, sanitaires, policières et judiciaires vaudoises. Ce n’est, sur le principe sinon toujours dans les modalités, que justice. Mais la participation à des décisions concernant parfois l’avenir même de la communauté vaudoise est d’un autre ordre. En quoi un étranger ayant vécu sept ans à Zurich et trois ans dans le Canton de Vaud – répondant donc aux critères des initiants – serait-il apte à se prononcer sur la fusion des cantons de Vaud et de Genève, par exemple?

On ne peut pas absolument exclure que, pour certains étrangers, une pratique régulière des droits civiques finirait par déclencher une demande de naturalisation. Mais il est certain, et pour tout dire compréhensible, qu’elle dissuaderait le plus grand nombre de faire le dernier saut, satisfaits de jouir de tous les droits des nationaux sans en subir les obligations, notamment militaires.

On désire ce qui est désirable. Qui pourrait désirer un statut de national qui ne lui apporterait rien de plus que ce qu’il a?

Venons-en aux sacrifices excessifs que demanderait la naturalisation proprement dite. En 1988, les Vaudois, tous partis confondus, ont consenti des efforts importants pour faciliter les conditions cantonales de la naturalisation. On allégea les procédures et réduisit les frais aux coûts administratifs effectifs.

La Nation avait approuvé et soutenu cet effort, considérant qu’il était malsain que des dizaines de milliers d’étrangers, parmi lesquels des personnes de valeur, restassent en apnée politique sur notre territoire. Elle considérait aussi que, pour beaucoup d’étrangers profondément intégrés, la naturalisation n’aurait été que le dernier pas de leur assimilation complète, de leur prise de racine définitive. Il convenait de ne pas entraver ce processus naturel en y mettant des obstacles dépourvus de sens. L’article 69 de la Constitution vaudoise de 2003 radicalise la tendance en prévoyant que la procédure de naturalisation est «rapide et gratuite». C’est dire que l’étranger qui se prétend suffisamment intégré pour avoir le droit de participer aux décisions politiques n’a aucun motif matériel de refuser de faire le saut.

Il est vrai que certains étrangers tiennent à leur nationalité d’origine et que le pays dont ils viennent ne permette pas la double nationalité. A notre sentiment, la double nationalité n’est pas un statut désirable. Leur fidélité est honorable, mais elle a un prix.

Nous ne minimisons pas la portée morale et psychologique que peut avoir un changement de nationalité, surtout pour celui qui est conscient de son appartenance à une lignée familiale et à une nation historique.

Mais c’est précisément de cela qu’il s’agit. La naturalisation est infiniment plus qu’un acte administratif. Se naturaliser, c’est affirmer sa volonté de partager la vie de sa nouvelle communauté politique. C’est y lier son destin propre et celui de sa famille. C’est se plier définitivement à une appartenance, dire «nous» en parlant des Vaudois ou de la Suisse. Il y a un saut à faire. C’est la condition sine qua non pour obtenir la plénitude des droits civiques. Cette ultime acquisition manifeste l’importance de ce saut, tant pour le peuple d’accueil que pour l’étranger demandeur.

Nous voterons NON à cette initiative qui brouille les enjeux de la naturalisation et nous engageons nos lecteurs à faire de même.

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