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Secrets

Alexandre Bonnard
La Nation n° 2046 10 juin 2016

– De toute manière, pour finir, tout se saura.

– Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer? Qu’en savez-vous?

– Mais comment? Cela saute aux yeux. Secret d’Etat, secret des délibérations au plus haut niveau et puis les fuites (déplorées, organisées, si ce n’est tolérées). Secret bancaire, parlons-en! On signale encore des poches de résistance ici ou là, on parle d’une initiative pour le maintenir sur le plan interne suisse. (Mais cela ne marchera pas pour les actions américaines et puis, entre les pseudos et les vrais fédéralistes, quelle position prendre?) Dans l’Empire britannique, il y a par exemple les Iles Vierges, qui ne le seront bientôt plus. Quant au Delaware et autres paradis artificiels, ils n’ont qu’à bien se tenir. Entre le fisc et les fortunés persécutés, c’est la chasse pathétique, haletante. On pourrait imaginer que le cycle s’achève au cœur d’un matelas pluriséculaire, puant le moisi, dans l’annexe délabrée d’un château qui ne le serait pas moins.

Et les lanceurs d’alerte? Ah! Assange et Snowden sont en procédure de béatification et peuvent espérer la canonisation pour la fin du siècle. Révéler les petites ou grosses turpitudes du monde politique et diplomatique, quel régal pour le commun des mortels! Révéler les procédés secrets par lesquels un monstre tapi dans tel désert de l’Arizona (j’ai oublié le sigle) enregistre chaque jour des milliards de conversations téléphoniques, à la feinte colère d’Etat même «amis» qui n’ont pas les moyens d’en faire autant. L’indignation le cède au plaisir de voir le fourbe démasqué.

Telle est la tendance. Les délateurs, les vendeurs de disques durs contenant des listes délectables de fraudeurs du fisc, sont condamnés en toute légalité dans tel pays et dans tel autre reçoivent par exemple la légion d’honneur ou quelque ferraille équivalente. Ou alors, dans le même pays, quelques mois de prison et à la sortie une centaine de millions de dollars. Ceux qui ont mis la main sur les papiers panaméens, combien vont-ils recevoir? Ou ne voudront-ils rien?

Et puis, cher ami, il y a le tsunami des réseaux sociaux. C’est à qui se dévoilera le premier, avouera des turpitudes réelles ou imaginaires. Donc vous voyez des Etats pondre les uns après les autres des lois sur la transparence. Le bruit court d’ailleurs que certains services fédéraux ont de la peine à appliquer la nôtre de 2008, ce qui donne un surcroît de travail au tribunal fédéral.

Cela étant, je vous concéderai volontiers que in fine on n’en sait rien, puisqu’on ne sait pas quand et comment cela finira. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Dans l’intervalle, l’Etat de son côté, les administrés du leur, sauront trouver des subterfuges pour protéger, l’un contre l’autre, certains au moins de leurs «secrets défense». Il y a aussi des fausses transparences. A la limite, la transparence totale rejoint le totalitarisme orwellien. Il y en a comme un avant-goût dans la Révolution française, culminant avec la Terreur.

– Vous m’accablez, mais je voudrais déplacer la question sur le terrain privé. Où en sommes-nous avec le secret de la confession par exemple, le secret professionnel, les secrets purement privés? (Sans parler des secrets d’invention, de fabrication, commerciaux, etc.)

– Pour ce qui est de la confession, sa violation, cette grave faute, doit entraîner de lourdes sanctions, ecclésiastiques. Je n’ai pas d’informations mais veux croire qu’elle est tout à fait exceptionnelle. La confession est une thérapie assez géniale qui a beaucoup contribué à la puissance de l’Eglise catholique. L’utilisation abusive de la confession à des fins politiques a surtout été imputée aux Jésuites, d’abord par Pascal dans ses percutantes Provinciales, ensuite par Saint-Simon dans ses féroces pages sur Le Tellier, confesseur de Louis XIV. Mais maintenant les services secrets américains n’ont-ils pas placé des micros invisibles dans tous les confessionnaux?

Le secret professionnel: en premier lieu, les médecins reprochent aux assureurs et derrière eux à l’Etat un travail de sape contre le secret médical. Que vaut encore un secret s’il est partagé par tant de personnes qui ne sont pas des médecins?

Avocats et notaires: on retrouve ici le problème du fraudeur du fisc ou prétendu ou soupçonné tel, qui pense pouvoir se couvrir derrière le détenteur d’un secret professionnel en lui confiant des fonds, en lui proposant de créer puis de présider telle société fictive, ou autre montage. La question est délicate. Elle vient ces derniers temps sur le tapis. N’en disons pas plus.

Entre privés? «Chéri(e), tu sais bien que je n’ai pas de secret pour toi» (sous réserve bien sûr du secret professionnel). Baiser. L’autre, in petto : je sais qu’il (elle) ment. Ou bien: j’ai la preuve, ou bien, j’ai des indices sérieux. Mais évitons une grande scène pour cette petite monnaie. Ou encore (couple moderne, le cas échéant pacsé): chacun sait que l’autre a un ou des amants, une ou des maîtresses. On n'a pas de secrets entre nous, il faut que tout se sache. Transparence, transparence.

Mais prenez au hasard, par exemple, mille romans américains (ou autres) du dernier demi-siècle. Dans neuf sur dix, le thème essentiel reste les drames de famille, bourgeoise bien sûr, affreux, cachés, couverts d’un épais voile d’hypocrisie, et puis cela explose. Si tous les secrets étaient d’emblée révélés, quel appauvrissement pour la littérature… à commencer par ?'dipe Roi. Tirésias n’ose rien dire.

Dans sa volumineuse et toute récente biographie de Fouché, maître du secret s’il en fut, Emmanuel de Warensquiel cite ce passage subtil de Casanova à propos de la franc-maçonnerie vénitienne: Le secret des maçons est tel qu’il ne peut être communiqué à qui que ce soit par personne, car personne ne peut être sûr de le savoir. Il est donc inviolable par sa propre nature.

Quant à celui qui prétend n’avoir de secret pour personne, ce ne peut-être qu’un robot.

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