Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Punir

Jacques Perrin
La Nation n° 2067 31 mars 2017

Un père de famille prive son aînée de téléphone portable; un commandant de compagnie inflige des arrêts à une recrue; un patron licencie un employé pour faute professionnelle; un tribunal condamne un cambrioleur à la prison: toute communauté, de la plus petite à la plus grande, est un jour appelée à punir l’un de ses membres.

Le besoin de punition se présente sous deux aspects. Le mal, si pesant, fait qu’il est nécessaire de punir celui qui le commet, de peur que la communauté ne se désagrège. D’autre part, le coupable ressent, même confusément, le besoin de payer sa dette; il sait qu’il ne recouvrera la paix intérieure qu’en purgeant une peine.

Punir n’est pas un plaisir. Les récits de vie carcérale ou concentrationnaire rapportent qu’il existe peu de matons sadiques, tirant jouissance de leur pouvoir de punir; les excès s’expliquent par d’autres raisons: besoin d’un salaire, ennui ou soumission aux ordres.

La punition est application de la force; la force intervient quand l’autorité se heurte à un mur.

A l’école, le maître compte d’abord sur l’intérêt qu’il suscite pour une matière, sur son enthousiasme et son inventivité. Il agit comme modèle, tentant de maîtriser lui-même au plus haut point ce qu’il est chargé d’enseigner, démontrant la fermeté de caractère et le savoir-vivre qu’il réclame. Il compte aussi sur les notes et la compétition qui, malgré tout ce qu’on leur reproche, obligent à une certaine discipline, de qualité inférieure il est vrai.

Parfois rien ne fonctionne comme prévu, les élèves renâclent à l’apprentissage, les négociations achoppent sur la mauvaise foi, le désordre menace de s’installer. C’est alors un devoir professionnel de punir.

Comme le devoir de punir passe pour un échec de l’autorité, on le méprise. Au début de notre carrière, les formateurs répétaient que si nous nous mettions à punir, c’est que nous ne savions pas captiver l’attention les élèves. Cette remarque nous désarmait. En réalité, le recours à la punition manifeste que le chef assume son autorité jusqu’au bout. L’autorité implique la science de la punition.

Parfois la punition n’atteint pas son but: le coupable ne s’amende pas. Certains élèves s’obstinent tellement dans la révolte qu’on doit envisager leur exclusion. Il se produit comme une escalade. Mais les cas sont rares.

L’instruction ne peut être dispensée en l’absence de toute éducation préalable. Certains élèves n’apprennent pas parce qu’ils ne savent pas, au sens propre, «se tenir». Attention et discipline sont des vertus ignorées d’eux. L’échec n’est pas celui du maître seulement, toute la communauté le partage, notamment les parents, si toutefois ils consentent à remplir leur rôle.

Le fait de punir comporte un élément de solennité, qui frise parfois le ridicule si celui qui punit donne le spectacle de la colère. Il faudrait punir froidement. Les personnalités réservées et bienveillantes par nature n’endossent pas aisément la tâche de censeur. La crainte bien vaudoise du conflit interminable, des «bringues», retient tel ou tel maître de sévir contre des élèves procéduriers.

La nécessité de punir subsiste pourtant, ne serait-ce que pour protéger les élèves qui souhaitent travailler dans le calme.

Il faut aussi considérer le besoin d’être puni. Même pour un adulte, la punition est utile parce qu’elle réveille la conscience parfois somnolente. La punition nous confronte au mal commis, elle rassure, elle rend la sérénité. Chez les enfants, le besoin d’être puni est encore plus marqué. L’innocence enfantine est un mythe. Comme le croyait Baudelaire, «le péché originel est plus proche de l’enfant que de l’homme». En un temps où les gamins s’adonnent aux joies des réseaux sociaux, leur cruauté innée se donne libre cours. On n’imagine pas ce que subissent ceux que leurs camarades harcèlent sur le Net. L’effet de meute est décuplé. La cruauté et l’irresponsabilité vont de pair. Le petit enfant qui maltraite un animal doit être sévèrement puni, même s'il ne comprend pas pourquoi. La punition est un acte éducatif qui remplace les explications dont le sens échappe à l’enfant. Elle indique que le mal a été commis et que l’enfant en est tenu pour responsable. La punition oriente l’enfant vers la liberté. Pour les adolescents, la punition signifie que les adultes s’intéressent à leur sort. Le laisser-faire signale l’indifférence. En punissant, nous considérons le coupable comme un être libre.

Quand un maître punissait un esclave, il admettait, à son insu probablement, avoir affaire à un être supérieur à l’animal ou à la machine…

Sous nos climats, la punition est à la fois exigée et flétrie. Certains parents réclament la sévérité tout en s’indignant qu’elle puisse toucher leurs rejetons. La culture de l’excuse se porte bien. Au nom de quoi punirait-on un coupable ayant subi lui-même des sévices et fournissant mille justifications à sa barbarie? La victime est une figure si choyée qu’on craint de déployer la force, car tout coupable pourrait se prévaloir du statut de victime oubliée.

Le Matin dimanche du 19 mars nous apprend que tirer l’oreille d’un garnement qui vient de traiter votre enfant de «pute» et de «triple lesbienne» coûte 500 francs. Il s’agit de «voies de fait».

La coexistence du laxisme et du besoin de force est une contradiction intime de notre société avec laquelle les responsables des diverses communautés composent, plus ou moins habilement.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: