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A contre courant

Daniel Laufer
La Nation n° 2123 24 mai 2019

Heureux hasard, ce printemps voit paraître à quelques semaines d’écart, tout d’abord dans la fameuse Revue des Deux Mondes, l’évocation du livre de Lucie Guillet La poéticothérapie (Vous avez la tête lourde?... trente vers de Musset…), sous la plume d’Olivier Cariguel, puis un article du président de la Ligue vaudoise dans l’édition du 14 mai de 24 heures sous le titre «Hasards de la rime et nécessité poétique»; et peu après, voilà que nous arrive des précieuses Editions Empreintes le beau coffret des poèmes de François Rossel, auquel s’ajoutent les recueils des œuvres d’Alain Rochat et de Sylviane Dupuis (où l’on trouve des moments de pureté admirable); enfin vont paraître incessamment les Sonnets Vagabonds d’Edouard de Perrot, aux Editions de la Feuille de Chêne.

Quand a été lancé en 2016 le Concours de Poésie Française, avec le succès que l’on sait, ses protagonistes entendaient bien faire la part belle à la rime et au rythme, c’est-à-dire à une poésie destinée à être lue, à être entendue, une poésie musicale, celle-là même dont Socrate, La Fontaine avant la lettre, s’est inspiré, quelques heures avant sa mort, pour mettre en vers les fables d’Esope «afin d’obéir aux dieux»; on l’a rappelé ici même, dans un article paru aussi en ce printemps décidément poétique. Or il se trouve que le lauréat, l’un des deux lauréats pour être précis, du concours de La Feuille de Chêne est justement l’auteur des Sonnets Vagabonds. C’est dire, comprenez-bien, qu’on a déjà atteint, en tout cas pour un bout, le but réel de la joute: favoriser la création poétique en ce que cette création «atteint sa pointe extrême avec la transmutation des “ hasards de la rime ” en nécessité» pour reprendre l’heureuse conclusion de l’invité de 24 heures.

Mais qui est Edouard de Perrot? Il vous répond avec finesse et en alexandrins tout naturels:

Je ne suis qu’un curieux allant la plume au vent

Cueillir un mot, un son, une idée, une rime,

Que j’associe entre eux dans les vers où j’exprime

Qui je suis et qui j’aime, éveillé ou rêvant.

Eh bien! il ne faut pas se le cacher: il y a un abîme entre la «poésie» de Perrot et la «poésie» de François Rossel. Celle-là est faite pour être captée non seulement par l’œil, mais aussi par l’oreille, on a envie de l’apprendre par cœur, de la réciter, comme fut transmise, de bouche à oreille, si l’on ose dire, la poésie d’Homère, et de bien d’autres pendant des siècles. Celle-ci s’adresse d’abord à l’œil et à l’intelligence; elle ne veut être que poésie, débarrassée des contraintes de la rime et de la métrique, considérés comme des scories. Mais cette pureté n’est bien souvent pas assimilable pour n’importe quel lecteur, elle demande un effort d’imagination qui rend parfois le poème… peu poétique.

A l’inverse c’est un truisme de dire que la rime et le rythme ne font pas la poésie. Dès que l’on devine le Dictionnaire des rimes à portée de main, c’est fichu! Edouard de Perrot n’est pas dupe:

Mais il ne suffit pas de prêter allégeance

A la forme savante en élève assidu ;

Encore faut-il se révéler inattendu,

Mariant le sens au son en pleine résonance.

Le débat n’est pas clos. Il n’y a pas deux écoles rivales. On peut faire son miel de toute chose, des vers libres de René Char comme des sonnets de Perrot. La vocation particulière des Editions de La Feuille de Chêne tend à remettre en honneur une poésie où le rythme, la rime et le sens sont «en pleine résonance», témoin le Bestiaire:

Je tiens

Renarde                  J’amuse

Hagarde                  Ma muse

Ton bien                  Afin

 

Un rien                    De vivre

Te farde                  Presque ivre

Prends garde                      Enfin

Au chien.

Les lecteurs de La Nation trouveront dans ce numéro une carte de commande pour les Sonnets Vagabonds, mais aussi pour la Feuille de Chêne n° 1. On leur souhaite du plaisir à découvrir ces belles œuvres dont la saveur réside aussi en ce qu’elles sont à contre-courant.

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