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Actualités  |  Mardi 19 septembre 2017

L'abîme qui sépare l'oral de l'écrit

Les organisateurs du colloque veulent publier votre conférence. Flatté, vous acceptez, mais à la relecture, vous constatez que votre texte est impubliable: répétitif, trop allusif ici, trop insistant ailleurs, grandiloquent au début, sec au milieu, hâtif à la fin, décousu dans l'ensemble. A votre sentiment, pourtant, il avait bien passé auprès du public.

C'est que l'oral est une chose et que l'écrit en est une autre. Contrairement à l'écrivain, l'orateur travaille en contact direct avec ses auditeurs. Dans un double mouvement, il se livre à eux et les attire à lui. Le démagogue, soit dit en passant, ne fait que pousser ce mécanisme à l'extrême, captant non seulement l'attention des spectateurs, mais leur personne même.

Cette relation entre vous et le public fait que ce dernier influence vos phrases juste avant que vous ne les prononciez. Ses réactions – rires, hochements de tête approbateurs, mimiques dubitatives, haussements d'épaules et pianotements digitaux, regards échappés vers la fenêtre, ou vers la pendule – vous forcent à modifier le texte d'origine, à retourner en arrière, à sauter un développement, à ajouter une précision, un correctif, un gag imprévu, un clin d'œil à l'adresse d'une personne présente, parfois même une petite idée, qui vous vient tout à coup et complète la démonstration. Arrivé à la conclusion, l'exposé est beaucoup plus riche que vous ne le prévoyiez. Ce serait une régression que de donner le texte de base à l'impression.

Autre différence importante, le texte d'un exposé doit être dilué. Plus d'un auditeur s'essouffle. Il a besoin de répétitions, de conclusions intermédiaires, de temps morts, voire d'un peu de remplissage pour rejoindre le peloton. Dans la version écrite, tous ces éléments, mais aussi les gestes qui soulignent vos phrases ou les mettent à distance, les moues qui allègent vos affirmations, les accélérations et les ralentissements oratoires, les changements d'intonations, le martelage des mots, tout cet appareil théâtral disparaît.

Résistez à la tentation d'y  suppléer à coups de signes d'exclamation, de points de suspension, de gras, voire de soulignements: c'est inesthétique et contraire au génie de notre langue. Tout, en français, devrait s'exprimer exclusivement par le choix et l'ordre des mots.

L'écrit révèle encore les faiblesses de votre construction et de vos démonstrations, trop facilement dissimulées sous l'un ou l'autre mot d'esprit.

Enfin, vous ne savez pas de quelle humeur sera votre lecteur. Et de toute façon, vous ne serez pas là pour rectifier le tir. Votre texte devra donc être ramassé, régulier, proportionné, dépourvu de répétition pédagogiques, de trous argumentatifs, d'ironie et autres équivoques.

Conseil d'ami, si vous devez publier l'un de vos exposés, brûlez-le et repartez à zéro!

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 19 septembre 2017)