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Le piège de l’accord-cadre

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2027 18 septembre 2015

La position de l’Union européenne est claire: tant qu’un accord-cadre coiffant les bilatérales ne sera pas conclu avec la Suisse, il n’y aura pas de nouvel accord bilatéral.

Officiellement, cet accord-cadre a pour but d’assurer une interprétation et une pratique homogènes du droit européen. En réalité, cela va beaucoup plus loin. L’accord-cadre représente l’aboutissement d’une dérive persistante du système bilatéral. A l’origine, ce système devait se limiter à quelques accords indispensables. Les autorités fédérales en ont fait l’instrument indéfiniment extensible d’une soumission progressive au droit européen.

Dans cette perspective, la Suisse n’est plus un Etat concluant des traités sur pied d’égalité avec la partie adverse. Elle est le mauvais élève au fond de la classe, un demi-membre rétif et craintif de l’Union qu’on peut traiter sans ménagement.

L’accord-cadre verrouille cette conception dévoyée des bilatérales et de la souveraineté suisse.

Etant donné que le droit européen ne cesse d’enfler, l’homogénéité visée par l’accord-cadre est en fait un processus permanent d’homogénéisation. En d’autres termes, la Suisse devra se soumettre a priori, sans discussion parlementaire ni vote du souverain, à toute évolution future des accords bilatéraux, laquelle sera conçue et décidée par la seule Union.

On appelle ça la «reprise dynamique» du droit européen. En fait, ce n’est qu’une nouvelle façon de désigner le «droit évolutif», épine dorsale du traité sur l’Espace économique européen (EEE). Cette notion, qui annonçait une érosion permanente et immaîtrisable de la souveraineté suisse, n’avait pas peu contribué, en 1992, au refus du peuple et des cantons. On repart pour un tour.

La mise en œuvre par la Suisse des accords bilatéraux sera contrôlée et un tribunal réglera les litiges quant à leur interprétation. Du côté de l’Union, il va de soi que ce tribunal ne peut être que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le Conseil fédéral est conscient des réactions internes vigoureuses que susciteront le «droit évolutif» et les «juges étrangers». Aussi propose-t-il, à la place de la reprise automatique du droit européen, une procédure de «suivi autonome». En d’autres termes, nous déciderions librement de nous soumettre.

Le Tribunal fédéral interpréterait les nouvelles dispositions. En cas de conflit, la Cour de justice européenne trancherait. Toutefois, la Suisse conserverait, pour des situations exceptionnelles, une sorte de «droit» de refuser la décision de la Cour. Dans ce cas, l’Union serait autorisée à prendre des «mesures compensatoires proportionnelles», en réalité des mesures de pression destinées à nous ramener sur le droit chemin de l’unité.

Le traité sur l’EEE prévoyait un «droit de veto», censé préserver la Suisse de dérives insupportables pour elle. A l’époque, nous n’y avions pas cru, le jugeant d’un maniement trop lourd. Nous ne croyons pas davantage au droit de refuser l’interprétation de la Cour de justice. Nous ne croyons d’ailleurs même pas que cette proposition, qui lèse directement le principe d’homogénéité, retienne l’attention de l’Union.

On a progressé depuis 1992! Un refus suisse n’est plus envisagé comme un veto souverain à une nouveauté inacceptable, mais comme un coup de canif punissable dans un accord déjà signé.

Si nous acceptons l’accord-cadre, et si l’Union européenne dure assez longtemps, la Suisse finira par y adhérer de facto, par la simple extension juridique – c’est-à-dire sans passer par une décision politique – des accords bilatéraux.

Etrange diplomatie. Il y a d’un côté un appareil bureaucratique puissant, persuadé d’incarner la raison, la morale et les droits de l’homme. Cet appareil n’est pas conduit par des politiques, mais par des juristes, des fonctionnaires et des statisticiens. Il tend à tout réglementer, à tout unifier, à tout administrer et se montre totalement indifférent aux problèmes internes et aux réalités institutionnelles spécifiques du petit Etat composite qui est en face de lui.

De l’autre côté, il y a le collège gouvernemental de ce petit Etat composite. Il est serré entre des exigences européennes contraires à notre souveraineté et des menaces de référendum qui visent à sauvegarder cette souveraineté et ont toutes les chances d’aboutir. Sa marge de manœuvre s’est encore amenuisée depuis le 9 février et la mise en cause de la libre circulation des personnes.

Et le Conseil fédéral est d’autant plus mal à l’aise dans ses tractations que sur le fond, il est plutôt d’accord avec son vis-à-vis européen, comme en témoigne le choix de son consensualissime diplomate en chef, comme en témoigne aussi le fait qu’il n’a jamais retiré, mais seulement «gelé» la demande d’adhésion déposée avant le vote de 1992. Croire que son adversaire a raison n’a jamais incité au combat à outrance.

A nouveau, il faudra que le peuple et les cantons entrent en résistance et fassent entendre la voix de la raison politique, c’est-à-dire de la souveraineté de la Confédération. La Ligue vaudoise fera sa part.

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