Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Un passé si présent - Séminaire 2016 de la Ligue vaudoise

Jean-François Pasche
La Nation n° 2056 28 octobre 2016

Cette année, la Ligue vaudoise a organisé un séminaire sur l’histoire. Le but était de réfléchir sur ses rapports avec la société en général, plus spécialement avec la politique et le monde académique d’une part, et d’autre part avec le grand public à travers l’enseignement scolaire et les ouvrages et revues de vulgarisation. Pourquoi faire de l’histoire? Quel sens cela a-t-il pour le politique, pour l’historien, ou pour les enseignants? Comment écrire l’histoire? Autant de questions qui ont été abordées par les six conférences du séminaire, réparties sur trois soirs de septembre. Ces questionnements étaient guidés par l’idée défendue par la Ligue vaudoise que l’histoire est un des fondements de l’identité. C’est grâce à notre histoire que nous savons d’où nous venons et que nous pouvons plus sereinement envisager notre futur.

A quoi sert l’histoire?

Pour introduire le séminaire, M. Olivier Delacrétaz, président de la Ligue vaudoise, a rappelé la place que prend l’histoire dans le combat politique du mouvement. A quoi sert l’histoire? Un historien rigoureux répondra certainement qu’elle ne sert qu’à elle-même; connaître pour connaître, c’est la beauté de la science. Mais en politique, le point de vue est différent. Dans la recherche du bien commun, l’histoire a une réelle utilité. Elle est un phare pour le présent. Elle fournit des exemples du passé, qui sont autant d’encouragements à l’action. Elle témoigne des efforts sans relâche de nos aïeux pour le bien du Pays. En histoire, le temps est long, ce qui permet de prendre du recul sur le présent. Les évolutions politiques récentes peuvent paraître catastrophiques, toutefois nous les voyons peut-être d’un peu trop près. Des situations similaires ne se sont-elles pas déjà produites?

A sa lumière, l’histoire permet de mieux connaître le destin du Pays, de mettre en lumière les permanences et les changements. En connaissant l’histoire, on se rend compte qu’on ne peut pas s’en défaire. La page blanche, l’idée qu’une société puisse repartir à zéro sans tenir compte du passé, est un mythe qu’aucune révolution, même très violente, n’a pu réaliser. Le passé se mélange toujours au présent. Cette conscience permet d’aller mieux de l’avant, de chercher en soi la possibilité du changement, un changement qui soit en adéquation avec le caractère unique de la nation, façonné par son histoire. Enfin, M. Delacrétaz a rappelé que l’histoire ne va pas dans un sens bien déterminé. C’est le présent qui la continue chaque jour, avec ce qu’il contient de nos décisions et de nos actions. Alors pourquoi vouloir l’accélérer, si on n’en connaît pas par avance la destination? Il vaut mieux vivre notre présent pleinement, ce bout d’histoire dont nous sommes les acteurs, notre âge d’or!

Un ouvrage d’histoire cantonale à l’école?

L’école vaudoise ne bénéficie pas d’un manuel scolaire récent d’histoire cantonale. Mentionnons l’ouvrage de Mme Lucienne Hubler publié en 1991, qui n’a malheureusement pas reçu l’écho escompté1. En Valais, un livre à destination des classes a été publié à l’occasion du bicentenaire de l’entrée du canton dans la Confédération. Ce livre est intitulé A chacun son histoire. 200 ans d’histoire en Valais2, et couvre uniquement l’époque contemporaine, idée assumée dès le départ. Mme Delphine Debons, historienne indépendante, a été mandatée pour écrire ce manuel. La Ligue vaudoise l’a invitée à parler de sa démarche.

Sous l’impulsion du parlementaire Yves Fournier, l’idée d’un manuel d’histoire valaisanne a facilement été acceptée. Les difficultés se sont révélées au niveau de l’écriture elle-même. En premier lieu, cela a nécessité un effort de synthèse important. Le livre ne fait que 60 pages et contient beaucoup d’illustrations. Cet exercice implique des choix souvent difficiles qu’il faut ensuite justifier. Pour Mme Debons, il s’agissait aussi de garder une ligne neutre, alors qu’en histoire contemporaine les sujets traités sont souvent politisés. Il y avait aussi un équilibre à maintenir entre les deux parties du Valais. Du point de vue didactique, il fallait que l’ouvrage prenne une forme convenant à l’enseignement.

L’ouvrage a été publié en deux langues – la version allemande comporte quelques différences de contenu – et imprimé à 20’000 exemplaires, pour une large diffusion dans les classes. Mme Debons espère qu’il suscitera la curiosité des élèves et des enseignants, et qu’il sera utilisé. Du reste, la loi scolaire valaisanne demande aux enseignants de consacrer quelques cours à l’histoire de leur canton.

Une Histoire vaudoise

Il y a environ une année, La Nation se faisait l’écho de la parution d’un nouvel ouvrage d’histoire vaudoise3, une coédition de la Bibliothèque historique vaudoise (BHV) et d’Infolio, intitulé Histoire vaudoise4. M. Antoine Rochat, directeur de la BHV, nous a livré quelques détails sur sa genèse. Le nouveau volume fait plus de 500 pages. De grand format, il est richement illustré. Plus de vingt auteurs y ont contribué, sous la direction de M. Olivier Meuwly. L’ouvrage a bénéficié d’un budget de 350’000 francs, pour un tirage de 4000 exemplaires.

Un nouvel ouvrage de synthèse s’imposait, vu les avancées dans la recherche depuis la publication du dernier volume de l’Encyclopédie vaudoise en 1973 et la parution du manuel Histoire du Pays de Vaud de Mme Lucienne Hubler en 1991. Il y a aussi les grands chantiers, par exemple routiers, qui ont fortuitement mené à de nouvelles découvertes archéologiques. En outre, on peut aujourd’hui aborder le XXe siècle vaudois avec la démarche critique de l’historien, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent. Enfin, le référencement des archives et leur numérisation ont fortement progressé, révélant de nouvelles informations. L’entreprise n’en a pas moins été un véritable défi. Tout d’abord, il a fallu trouver les spécialistes pour couvrir toute l’histoire vaudoise, de la préhistoire à nos jours. Vingt auteurs, cela pose aussi des problèmes de cohérence. Les autres préoccupations étaient la coexistence entre les différentes sensibilités historiographiques et politiques et la variété des approches, thématiques et chronologique. En conclusion, M. Rochat a montré que le nouvel ouvrage renouvelle l’historiographie vaudoise grâce à sa portée scientifique et aux nombreux documents inédits qu’il reproduit.

A quoi sert l’historiographie?

Lors de son intervention, M. le professeur François Jequier nous a montré l’intérêt à porter au récit historique en tant que tel. L’historiographie est l’histoire de l’histoire. Cette discipline s’intéresse à l’évolution de l’interprétation des faits, à leur compréhension par les historiens à travers le temps. Elle prend en compte les différentes idéologies du moment et leur impact sur la manière de faire de l’histoire. L’historiographie pose les questions de la cause de la publication d’un récit en particulier, de son auteur, du lieu à partir duquel il écrit.

M. Jequier est parti du constat qu’il y a aujourd’hui un très fort attrait du public pour l’histoire. Le succès de Stéphane Bern avec son émission Secrets d’histoire en témoigne; plusieurs films historiques sont chaque mois à l’affiche. Chez les libraires, on ne compte plus les bandes dessinées dont l’intrigue se déroule pendant la Deuxième guerre mondiale. Autre phénomène, aujourd’hui, on commémore beaucoup, même le début de la Première guerre mondiale!

Selon le professeur, l’historien doit prendre conscience de cette tendance. Il doit se poser la question de ce qu’il peut retirer des historiographies précédentes. Comment ses prédécesseurs ont-ils raconté l’histoire? Sur la base de ce questionnement, M. Jequier a fait un tour d’horizon de l’historiographie française du vingtième siècle.

L’histoire à portée de toutes les mains

Au début du troisième soir, M. Justin Favrod, journaliste, historien et rédacteur du mensuel d’histoire romande Passé Simple, nous a confié quelques impressions personnelles sur sa revue5, et quelques statistiques. Tout d’abord, mentionnons que l’entreprise va bien; les abonnés sont assez nombreux, environ 2000, qui payent un abonnement de 90 francs par année. Une des particularités du journal est que son budget est à 97% constitué par les revenus de l’abonnement. Il est donc possible de faire des publications journalistiques rentables!

Quant au contenu, M. Favrod nous a assuré n’avoir pas de problème pour trouver des sujets. La plupart du temps, les auteurs viennent naturellement à lui avec leurs propositions. Parmi eux, il y a beaucoup de non-professionnels de l’histoire. M. Favrod s’étonne d’ailleurs qu’il n’y ait pas plus de professeurs d’université intéressés à partager avec un large public leurs découvertes. Car une grande partie des abonnés sont des personnes a priori éloignées des milieux académiques. Le public est moins exclusif que dans les colloques ou autres évènements universitaires. La revue Passé Simple est donc un succès, qui répond à une réelle demande de vulgarisation de l’histoire des cantons romands.

Le Canton de Vaud raconté à Leila, Béchir et Jean-Louis

M. Jean-Blaise Rochat, depuis la Dent de Vaulion, présente le Canton à ses élèves. Pour les emmener là-haut, cela n’a pas été sans peine. Dans le Jura, à quelques dizaines de kilomètres à vol d’oiseau de chez eux, ces adolescents de l'Ouest lausannois sont complètement dépaysés. Y a-t-il vraiment des gens qui vivent ici, dans cet alpage?

La Dent de Vaulion est un poste d’observation idéal. Devant soi, on voit le Pays de Vaud qui s’étend jusqu’au massif des Diablerets. Sur la gauche, il y a la frontière avec le canton de Fribourg. Si l’on se retourne, il y a la France, plus précisément la Franche-Comté. De l’autre côté du lac Léman, c’est la Savoie. Toutes ces régions ont une histoire à raconter, qui remonte parfois à plusieurs siècles. Ces histoires donnent corps à ces territoires. Elles leur confèrent leur identité. M. Rochat fait prendre conscience à ses élèves du lien étroit entre le lieu où ils vivent et une riche histoire. Il leur apporte ainsi une culture commune, malgré leurs origines variées. Ils parlent tous le français, écoutent la même musique, s’habillent semblablement. Ces trois notions d’histoire, de territoire et de culture forment une identité particulière, réalité à laquelle chaque personne installée dans le Canton de Vaud devrait pouvoir se rattacher.

M. Jean-Blaise Rochat, avec son exposé final, a transmis son enthousiasme. Faire connaître le Canton de Vaud, voilà une tâche que doit accomplir un enseignant, et pas seulement envers les étrangers fraîchement installés; de nombreux petits Vaudois connaissent mal leur Canton. La prise de conscience de l’identité collective est un facteur important d’intégration. Pour les étrangers, c’est en leur enseignant notre histoire, notre culture, en leur faisant connaître notre Pays, bref en leur montrant que nous croyons en nous-mêmes que nous les convaincrons qu’il fait bon vivre chez nous.

Notes:

1 Lucienne Hubler, Histoire du Pays de Vaud, Lausanne, LEP, 1991.

2 Delphine Debons, Yves Fournier, A chacun son histoire. 200 ans d’histoire en Valais, 2015. Disponible en ligne: www.achacunsonhistoire.ch .

3 La Nation No 2033.

4 Olivier Meuwly (dir), Histoire vaudoise, Lausanne, Infolio, BHV, 2015.

5 La Nation avait signalé son lancement en février 2015 (no 2012).

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: