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Actualités  |  Mardi 19 mars 2019

Quand la transgression n'est même plus possible

Les directions des collèges vaudois ont donné congé aux élèves qui voulaient participer au mouvement mondial de grèves scolaires en faveur du climat. Le Département de la formation et de la jeunesse avait d'ailleurs déjà interdit que des épreuves notées aient lieu durant ces journées. Fort bien, mais, une grève se définissant comme une rupture unilatérale des relations de travail, on peut se demander si une grève autorisée est encore une grève.

L'enfant est soumis dès son plus jeune âge à deux mouvements inverses également nécessaires à son éducation. Le premier est fusionnel. C'est l'attraction de la communauté familiale, nid de certitudes, de similitudes et d'habitudes. Le second mouvement est séparateur. Il incite l'enfant à chercher son autonomie personnelle, à quitter le nid pour fonder sa nouvelle famille. Traditionnellement, la mère incarne la fonction fusionnelle, prolongement naturel de la proximité vécue durant la grossesse et l'allaitement. Le père, tourné vers l'extérieur, assure pour sa part la fonction séparatrice. Cette fonction l'oblige à poser des limites, interdiction et obligations, aux paroles et aux actes de ses enfants. L'école reprend cette fonction d'autorité à travers ses horaires, sa discipline et ses règlements.

La conquête de son autonomie est, pour l'enfant, l'aboutissement normal de son éducation. Cela se passe plus ou moins bien, mais il y a toujours un moment, ou plusieurs, où l'on doit affronter ses parents. Or, la revendication égalitaire a brouillé la répartition des rôles. En particulier, le père d'aujourd'hui a de la peine à assumer un rôle qu'il ressent comme inutilement brutal. Chez lui, la fonction fusionnelle prend le pas sur la fonction séparatrice, l'accueil sentimental sur les exigences de l'autorité. Il espère ainsi éviter l'affrontement, sans voir que son enfant a au contraire un besoin fondamental d'en passer par là, s'il veut pouvoir ensuite affronter le monde.

C'est dans ce même travers que les autorités scolaires sont tombées en autorisant les grèves. On comprend bien qu'elles partagent les soucis exprimés par leurs élèves. De même, étudier l'évolution climatique à l'école serait sans doute utile et formateur, pour autant qu'on puisse le faire sans trop d'idéologie. Mais ce n'est pas la question. Refusant d'appliquer les règles concernant la fréquentation obligatoire de l'école, les autorités scolaires non seulement ne font pas leur travail, mais encore privent les manifestants d'un levier majeur, celui de la transgression. La transgression, avec ses retombées punitives acceptées d'avance, aurait donné à la manifestation un supplément symbolique d'authenticité. L'attitude complaisante des autorités scolaires aplatit le symbole et fait de la grève climatique un cortège gentiment coloré parmi d'autres.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 19 mars 2019)