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Les mille petits pas de la subversion quotidienne

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1761 24 juin 2005
Dans Le Temps du 7 juin, M. Yelmarc Roulet écrit à propos des communes: «La plupart de ces entités n’ont ni la taille ni les moyens de jouer efficacement leur rôle de collectivité de proximité et de contrepoids dans un rapport équilibré avec le canton.»

Je sors d’une séance du Conseil général d’Essertes consacrée aux comptes et à la gestion 2004. Le rapport d’activité lu par le syndic énumère sommairement les activités dont la Municipalité est responsable, dans l’administration générale, dans la gestion des finances (deux emprunts importants, un amortissement vigoureux, des finances saines malgré un léger déficit), l’épuration des eaux (affinement du décompte), les routes et les chemins (modération de la vitesse, amélioration d’un giratoire, goudronnage et entretien), le service du feu (quatre interventions dans le cadre de la convention avec Châtillens, Vuibroye et Oron), l’entretien des forêts (plantations, soins culturaux, défrichages, coupes forcées en raison des intempéries et du bostryche, inauguration d’un étang), la rénovation du réseau des conduites d’eau, les bâtiments communaux, la voirie (élimination des ordures, objets encombrants, élimination de dix-huit tonnes de verre, soit soixante-neuf kilogrammes par habitant), le déneigement et la tenue de statistiques à l’attention de l’Etat, toujours plus nombreuses et minutieuses. L’école et la protection civile n’ont que peu occupé la Municipalité en 2004. Exceptionnellement, la secrétaire de commune est invitée à lire son propre rapport d’activité: à nouveau, ce sont des centaines d’actes de tous genres qui défilent.

La commune d’Essertes est une commune normale. Ses autorités sont normales. Son Conseil général est normal. Le secrétaire du Conseil général est normal. Aucun héritier milliardaire n’entretient la commune de ses impôts. Aucune industrie photographique ou autre ne lui permet de survoler les soucis financiers qui sont le lot habituel des collectivités locales. Affirmer qu’Essertes n’a «ni la taille ni les moyens de jouer efficacement [son] rôle de collectivité de proximité» est tout simplement contraire à la réalité vécue et chiffrée. Dans la plupart des trois cent huitante-deux cas vaudois, l’institution communale règle les questions de son niveau de compétences à des coûts bien plus serrés et avec une administration bien moins débordante que si l’administration cantonale s’en occupait elle-même.

Quant au «contrepoids dans un rapport équilibré avec le canton», il est évident que ce n’est pas une petite commune de 261 habitants qui peut jouer ce rôle. Mais une commune de quinze mille habitants ne le peut pas davantage. La représentation des intérêts d’Essertes face à l’Etat, en tant qu’ils sont les intérêts de toutes les communes, est du ressort des associations de communes (en l’occurrence l’Union des communes vaudoises, pour d’autres, l’Association des communes vaudoises), qui jouent pour les collectivités locales un rôle analogue à celui des syndicats pour les employés.

L’influence actuelle de ces associations souffre sans doute du poids grandissant de l’Etat et de ses élans prédateurs. L’initiative «La Parole aux Communes!», dont le Conseil d’Etat vient de constater officiellement la validité, vise à combler ce déséquilibre. Munies de cet instrument complémentaire, l’UCV et l’ADCV pourront assurer pleinement la représentation des intérêts communaux face à l’Etat. Et Essertes jouera «efficacement» son rôle de «contrepoids dans un rapport équilibré avec le canton» en participant par ses cotisations et ses avis à l’action de l’UCV.

En résumé, M. Roulet reproche aux communes d’une part de ne pas faire ce qu’elles font et d’autre part de ne pas faire ce qu’elles n’ont pas à faire.

En soi, ce n’est pas très grave. L’ennui c’est qu’on relève chaque jour dans la presse écrite ou parlée quantité de remarques de ce genre, sommaires, inexactes et tendancieuses, publiées par volonté de nuire, aveuglement idéologique ou laisser-aller intellectuel. Qu’il s’agisse de l’armée, de l’école, de l’Eglise, des districts, des cantons face à la Confédération ou de celle-ci face à l’Europe, de l’université, de la justice, de la police, de l’économie, de la paix du travail, de l’apprentissage, des patentes de restaurateur, de la paysannerie, de la culture du chasselas, que sais-je? plus aucune institution n’a «la taille ni les moyens de jouer efficacement [son] rôle».

Or, s’il ne faut pas quinze secondes pour pondre une phrase comme celle de M. Roulet, il faut plus d’une heure pour la rectifier de manière argumentée et convaincante. Généralement, on n’a pas le temps et on laisse tomber. Et l’addition et la répétition inlassable de ces mille petites tromperies sans importance, reprises au plus haut niveau par le monde officiel, finissent par donner à la population une image entièrement altérée de la réalité. On instille ce préjugé que tout ce qui existe est inefficace et dépassé. On fabrique une ambiance frénétique de course en avant, d’affrontement de tous contre tous, de «dernière ligne droite» avant l’arrivée. On fait comme si l’avenir n’attendait plus que nous pour pouvoir enfin se réaliser. On culpabilise ou ridiculise ceux qui refusent de s’aligner. On évoque les regards amusés ou choqués que les nations du monde civilisé et progressiste sont censées jeter sur les Suisses, ou que les autres cantons, performants et novateurs, sont censés jeter sur les Vaudois. Et tous ces prétendus constats, exprimés sans appel et sans arguments vont dans le même sens. Tous baignent dans la même ignorance et manifestent le même mépris de ce qui existe au profit d’un avenir censément radieux. Et l’électeur, médusé, est prêt à recevoir ovinement les réformes les plus imbéciles comme des dons de Dieu et des promesses de renouveau.

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