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Credo

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1765 19 août 2005
Dans l’édition de juillet-août 2005 du mensuel Bonne Nouvelle, nous lisons : «Les nouveaux principes [de l’Eglise évangélique réformée vaudoise]… jouent en gros le rôle d’une confession de foi, puisqu’ils définissent la qualité de membre…» et encore «Nous sommes à mi-chemin d’une confession de foi, elle viendra au prochain tour.» (1) Nous imaginons l’émoi du théologien relativiste, persuadé de pouvoir se passer de garde-fous. Le malheureux réalise tout à coup que la menace dogmatique ne plane plus au loin. La foi humaine serait-elle prête de s’abattre sur sa sacro-sainte liberté de penser n’importe quoi? Rien n’est moins sûr. La question ne date pas d’hier, mais la pente à remonter semble toujours bien raide.

En 1975, M. Regamey répondait déjà de belle manière à la question de la nécessité, du mérite ou du danger du dogmatisme. Trente ans plus tard, l’auteur du présent article se propose de rappeler ces opinions et tente un retour sur la question. La raison s’en conçoit aisément: aujourd’hui encore, jusque dans les prédications, on oppose trop souvent la réalité vécue à des «croyances» prétendument dépassées.

Le fondateur de notre mouvement reconnaissait volontiers la tendance délétère de nombreux chrétiens à remplacer une foi vivante et personnelle par la seule référence au dogme. Certes, reconnaissait- il: «Toute pensée qui faiblit et se dessèche se contente de formules.» Refuge d’une foi vécue, de telles affirmations peuvent se voir réduites à l’emploi méprisable de «sépulcres vides». Les formules les plus sincères, résumé d’une pensée assumée et concrétisée tous les jours, ne sont pas même à l’abri de cette déchéance. Aucune doctrine n’échappe à ce péril. L’anti-dogmatisme libéral pas plus que tout autre, qui se dévore lui même quand il affirme l’impossibilité de rien affirmer. L’humaine dépendance au dogme s’explique du reste assez aisément. Il est en effet une nécessité impérieuse pour chacun d’exprimer d’une manière accessible ce qu’il pense ou ressent. «Plongé dans le temporaire, le limité, le relatif, l’homme a la nostalgie de l’absolu, qui peut seul satisfaire son intelligence et combler son cœur.» Il conviendra cependant de distinguer le témoignage apostolique des mythes et légendes dont certaines pensées enrobent les vérités trop abstraites.

Après avoir rendu aux païens et aux communistes la réputation de faiseurs de fables qui leur revient de droit, M. Regamey nous rappelle la nature réaliste du témoignage apostolique. Les Evangélistes n’ont pas illustré l’Absolu par des fictions imagées, mais ont au contraire témoigné de faits historiques, qui tombent sous les sens et conservent pour centre la personne du Dieu fait homme. Les Apôtres déclarent avoir vu, entendu et touché Celui qui s’est placé dans la connaissance et sous la puissance des hommes, puis a accompli leur destinée jusqu’à la mort. Le Dieu vivant et ressuscité a pris une réalité visible et tangible, seule convenable pour l’esprit sceptique et infirme. Notre Seigneur a aussi choisi et formé des témoins oculaires dignes de relater ses agissements terrestres. Le dogme chrétien s’exprime donc dans l’enseignement fondamental des Apôtres, résumé dans le Symbole qui porte leur nom. Le témoignage apostolique ne se confond certes pas avec Dieu en personne et ne mérite pas vénération; il transmet toutefois des faits de Dieu, gesta per Christum, et force le plus grand respect.

Garante de l’intégrité de l’Evangile, l’Eglise y adjoint des précisions et autres confirmations du Message. La dogmatique de l’Eglise, carapace protectrice faite de précisions exprimées en langage ontologique, tente seulement de conserver intacte ce à quoi elle se doit d’adhérer au plus près. Cette tradition se distingue bien sûr du Témoignage lui-même, mais en demeure cependant tout à fait inséparable en ce monde, pour la simple raison que les erreurs qu’elle entend condamner se renouvellent à chaque génération. Ce rôle est d’importance: si les errements humains ne sauraient perdre les vérités éternelles du Christianisme, ils perdent cependant ceux d’entre nous qui abandonnent l’abri. L’exemple des théologiens libéraux se révèle, hélas, bien éloquent à cet égard. Encore verts ou déjà faits, ces messieurs-dames refusent année après année de voir Dieu dans celui qu’ils reconnaissent pourtant comme seul Seigneur. Si l’idolâtre confond le dogme avec le Christ lui-même, les dogmes n’en doivent pas moins être reconnus comme de précieux garde-fous. Seul l’orgueilleux prétendra vouloir s’en passer.

Dans l’attente de la Grâce divine, il importe donc de respecter une certaine tradition, afin de nous aider nous-mêmes. Sous l’indispensable dogmatique de l’Eglise, il nous faut rejoindre le témoignage des Apôtres. Dans les faits relatés, il nous appartient de discerner la Parole éternelle puis, par ce témoignage, de nous approcher du Christ-homme. Enfin, dans le Christ-homme, il convient d’adorer Dieu lui-même. Les faits évangéliques sont en effet assez parlants par eux-mêmes. Leur signification surnaturelle se passe volontiers d’explications métaphysiques. La dogmatique doit en tous les cas revenir aux faits de l’histoire du salut. «[L]e dogme est ce qui peut et doit être dit de Dieu.» Mépriser ce mouvement explicatif parce que toutes paroles, toutes notions sont inadéquates pour exprimer la transcendance de Dieu induit à mépriser Dieu se révélant aux hommes. «S’arrêter au contenant en négligeant le contenu, ou briser le contenant revient finalement au même: le contenu s’évapore, la foi perd sa saveur et se dissout dans un système philosophique ou une psychologie tout humaines.» (2)

Les arguments exposés par M. Regamey ont porté dans beaucoup d’esprits. La demande d’une confession de foi réformée vaudoise ne provient cependant pas uniquement de cette influence, mais semble bel et bien dater de l’abandon du dernier texte de ce type. De plus, l’adhésion de la fédération des Eglises Protestantes de Suisse au Conseil œcuménique des Eglises nous fait côtoyer d’autres institutions et nous pousse à dire qui nous sommes. L’idée dogmatique séduit donc, comme peut séduire l’idée d’un évêque protestant pour le Canton. Or, si changement il y a, les libéraux tenteront toujours d’imposer leurs fadaises. Le personnel ou les structures actuelles ne semblent point offrir de garanties suffisantes pour encourager l’innovation et tout reste à craindre : pas plus que nous ne saurions tolérer un évêque-assistant social ou une papesse-chargée de presse, nous ne pouvons imaginer sans frémir une confession gauchisante, dans tous les sens du terme. Un retour à ce que nous possédons déjà semble encore une fois salutaire. Notre cher Psaumes et Cantiques (3) présente comme confession de foi des symboles indiscutables, qui collent à l’Evangile. Nous pouvons fort aisément élaborer ou reprendre un texte fondamental qui se conforme lui-même à ces affirmations essentielles, ou même adopter l’un ou l’autre de ces symboles comme credo. Toute notre Eglise le confesserait alors avec profit. Ces textes œcuméniques apparaissent plus beaux et chargés de plus de sens que la plupart des nouveautés que l’on croit pouvoir rédiger de nos jours. Très souvent, les tentatives contemporaines se signalent par leur indigence et empruntent au glossaire idéologique. Elles ne peuvent que diviser les chrétiens. Par le retour à une dogmatique issue des symboles mentionnés, notre Eglise se garderait en outre d’un danger plus pressant encore que l’ajout maladroit ou malhonnête: l’amputation et l’oubli d’une partie du Message. La référence à la Bible en son entier et aux interprétations strictes du Texte demeurent seules envisageables. Notre confession de foi devrait garantir ce retour à l’essentiel.


NOTES:

1) G.D., «Nous n’avons pas jeté la Trinité!», in Bonne Nouvelle, No 6-7, Juillet-août 2005, p. 10. La deuxième citation était déjà reprise de Monsieur le pasteur Etienne Roulet, membre du Conseil synodal.

2) Pour ce qui précède la conclusion de cet article, lire ou relire M. Regamey, «Les dogmes», in La Nation, No 981, 2 août 1975, disponible plus aisément dans Philibert Muret (éditeur littéraire), La plume de Marcel Regamey, Choix d’articles, Cahier de la Renaissance vaudoise No CXVII.

3) Lui aussi menacé par une nouveauté (V. Olivier Klunge, «Les mystères du nouveau psautier», in La Nation, N° 1755 du 1er avril 2005), notre psautier actuel présente le Symbole des Apôtres et celui de Nicée-Constantinople. Le titre du chapitre consacré à ces reproductions ne laisse planer aucun doute quant à leur rôle : «Confession de foi».

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Affection et reconnaissance – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • A propos de l'esprit de milice – Jean-Jacques Rapin
  • Hospices cantonaux – On nous écrit, Daniel Petitmermet
  • Catalogue des prestations inutiles (IX) - Le Centre d'éducation permanente pour la fonction publique – Cédric Cossy
  • Si seulement il avait raison! - L'attentat anarchiste de Claude Frochaux contre 1789 – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Pour mettre tout le monde d'accord - A propos du Cantique suisse – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Capitulard? – Philibert Muret
  • Jean-Baptiste Tavernier, baron d'Aubonne – Aspects de la vie vaudoise, Frédéric Monnier
  • Mal léché – Le Coin du Ronchon