Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Briser les tabous... et les volontés

Nicolas de Araujo
La Nation n° 1769 14 octobre 2005
Les belles apparences de certains termes progressistes servent le plus souvent à cacher des idées fort négatives et destructrices. Je pense d’abord au concept rabâché d’«ouverture»: demandez à un progressiste de définir ce terme, il sera précis sur ce à quoi il s’oppose (par exemple la fermeture des frontières, la crainte de l’étranger) mais très vague quant au contenu de cette ouverture: adhérer à un ensemble multinational, sans savoir jusqu’où celui-ci s’étendrait; favoriser toutes sortes d’échanges et de migrations, mais sans savoir jusqu’à quel point; tolérer, mais seulement ce qui est tolérable. En somme, l’«ouverture», c’est surtout un refus du refus. Notez que les progressistes ne parlent jamais d’alliance avec des pays ou des groupes de pays. Une alliance renforce en principe les alliés, elle leur garantit l’indépendance, comme nos accords bilatéraux. A l’inverse, l’«ouverture» ne stipule avec l’ensemble rejoint aucun autre échange que celui de la paramécie (organisme unicellulaire) plongée dans une solution au chloroforme, qui éclate parce qu’elle n’arrive plus à évacuer l’eau de son corps.

Le choix des mots révèle donc l’intention purement négative des progressistes. Car une alliance, ça se discute – il y a le pour et le contre – mais l’ouverture, ça non. Personne n’a envie de paraître fermé. Le terme d’«ouverture» apparaît donc pour ce qu’il est: un instrument de terrorisme intellectuel.

Un lieu commun typique de la rhétorique dite progressiste vient de réapparaître au sujet de l’école: c’est celui de «briser un tabou», en l’occurrence le tabou de la compétence cantonale en la matière. Lorsque les progressistes veulent détruire une chose existante, soit en l’éliminant tout bonnement parce qu’elle les dérange, soit pour la remplacer par une autre qu’ils prétendent meilleure, ils commencent par habituer leur population-cible – c’est-à-dire les gens instruits – à force de tapage médiatique, scientifique ou autre en répétant continuellement les mêmes idées; tous les moyens sont bons: conférences et débats, publications, colloques, sondages (biaisés si nécessaire), et les décideurs comme les partis sont trop heureux de prendre à leur compte ces thèmes à la mode. Même une mauvaise idée peut entrer dans les esprits si elle est répétée suffisamment longtemps et qu’elle fait appel à certains instincts comme le désir de nouveauté ou celui de se conformer au groupe. Alors, une fois qu’ils se trouvent en position de force et qu’ils ont rallié la foule des indécis grâce à la menace sous-jacente de faire passer quiconque s’opposerait à eux pour ringard ou fasciste, ou «proche de l’UDC» ou que sais-je encore, à ce moment-là ils entrent en action tout en prétendant «briser un tabou».

C’est toujours ainsi: ceux qui suivent le courant, qui ont l’appui de l’administration, du gouvernement fédéral et de presque tous les médias et partis se donnent des airs de courageux contestataires, de frêles David éclairés face aux Goliath des préjugés conservateurs et de la «fermeture d’esprit» qui prétendument régneraient en maîtres dans toute l’Helvétie. Cette posture de faible victime permet de prôner des changements voulus par les autorités tout en donnant l’impression que l’on combat ces dernières. Evidemment, ces progressistes (ils se reconnaîtront d’euxmêmes) mentent comme ils respirent. Qu’on me cite un seul éditorial dans un média d’envergure, un seul symposium dans une université suisse, un seul sondage publié, un seul dessin de presse (!) qui ait défendu le droit légitime des cantons à s’occuper seuls de l’instruction publique. Et quand bien même on trouverait dans quelque fond de page une telle opinion formulée, cela contrebalancerait-il la masse des avis diffusés favorables à un accaparement – même partiel – de l’instruction par le pouvoir fédéral?

Si la résistance au changement ne se situe pas ou à peine dans les autorités politiques et encore moins dans les autorités intellectuelles comme le prétendent nos progressistes, elle existe bel et bien dans la population. Cela ne vient pas de préjugés ou de tabous irrationnels, mais du fait que les gens tiennent aux structures existantes. Le peuple vaudois se sentait plutôt satisfait de son instruction publique avant que des réformes ne la détruisent sous prétexte de l’améliorer. Il est vraiment ridicule de parler de tabou à cet égard: proposez à un progressiste quelconque de raser sa maison qu’il aime au motif qu’habiter à plusieurs dans un appartement moderne est préférable: sans doute apprécierait- il que l’on interprète son refus comme l’expression d’un «tabou» qu’il s’agit de briser au plus vite.

Pourtant nous ne voulons pas condamner trop sèchement les progressistes: la plupart sont tellement persuadés d’aller dans le sens de l’Histoire – comme si on pouvait aller en sens inverse – qu’ils croient sincèrement mener leurs concitoyens vers un monde meilleur et plus parfait. Sachons, en bons Vaudois, honorer du moins l’intention, même lorsque l’acte se révèle néfaste. Mais que ces fléchisseurs de nuques face à l’administration fédérale (ils doivent l’avoir souple, alors!) aient la décence d’épargner à ceux qu’ils sermonnent cette hypocrite posture de contestataire. Que les tenants de l’«harmonisation scolaire» cessent de jouer les rebelles et avouent servir les autorités fédérales contre la population qui, faut-il le rappeler, n’avait rien demandé à personne.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • L'espace éducatif suisse unifié – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • De l'espoir pour les Vaudois – Ernest Jomini
  • Nature, mot piégé – Jacques Perrin
  • Je rosse le gnome – Jacques Perrin
  • Référendum déguisé – Cédric Cossy
  • Jurassiens-Vaudois: même combat – Ernest Jomini
  • Juvenilia L – Jean-Blaise Rochat
  • Brahms aux annales de l'OCL – Jean-Jacques Rapin
  • Les statistiques, mobile de l'immobilité – Le Coin du Ronchon