Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Grandes heures de l’histoire vaudoise - 4e soirée

Yves Gerhard
La Nation n° 2047 24 juin 2016

La dernière soirée consacrée à l’histoire vaudoise vue au travers de quelques-uns de ses grands protagonistes a eu lieu le 9 juin, devant une salle bien revêtue, comme à l’accoutumée, sous la présidence d’Antoine Rochat, l’une des chevilles ouvrières du beau volume Histoire vaudoise publié conjointement par la Bibliothèque historique vaudoise et les Editions Infolio.

Le premier orateur, Olivier Meuwly, présenta la figure d’Henri Druey. De milieu modeste, ce pragmatique fit son droit, puis élargit sa formation par des séjours en Allemagne (où il suivit les cours de Hegel), puis à Paris et à Londres. Son contact direct avec la philosophie allemande forma sa pensée politique. D’autre part, il suivit la formation du nouveau Canton de Vaud, dont la souveraineté était menacée durant les premières années du XIXe siècle. Mais le nouvel Etat se construit sur la religion réformée et sur son armée cantonale; ses droits sont relativement démocratiques.

Druey est élu au Grand Conseil en 1828, au Conseil d’Etat en 1830. Il représente l’aile gauche, souvent en opposition avec ses collègues libéraux. Pour lui, le détenteur ultime du pouvoir est le peuple: il croit en la souveraineté populaire, guidée par la puissance divine. Sa conviction est sincère, sa foi en Dieu solide. Le peuple, pour lui, est avant tout celui des campagnes, non celui des élites urbaines. D’autre part, il constate la faiblesse de la Confédération en tant que pays, dans le concert alors fort dissonant des nations européennes. A l’époque, libéraux et radicaux se disputaient sur le rôle de l’Etat et sur l’autonomie législative des cantons. L’aile gauche du parti libéral, souhaitant un Etat central plus fort, formera par la suite le parti radical. Mais de 1832 à 1845, les tentatives de nouvelle Constitution fédérale n’aboutissent pas à un résultat tangible. Les cantons catholiques et conservateurs résistent aux cantons réformés et libéraux, et les tensions sont vives dans les cantons mixtes, comme Argovie ou Genève dans le second camp, ou le Tessin dans le premier; dans le canton de Vaud, entre les partisans d’une Eglise d’Etat, héritée de la période bernoise, et les «réveillés» ou méthodistes, qui formeront en 1847 l’Eglise libre.

Druey peut s’appuyer sur des personnalités fortes comme Louis-Henri Delarageaz ou Charles Veillon. Lecteur de Proudhon, le théoricien du socialisme, des utopistes et des anarchistes français, il s’inspira de leurs écrits pour imaginer un Conseil fédéral fort et une seule Chambre représentant le peuple; il défend la démocratie directe, la progressivité de l’impôt, le droit au travail, la liberté d’association et de presse.

Comme la majorité libérale excluait, malgré la pression populaire, la contrainte contre Lucerne dans l’affaire des Jésuites, Druey et les siens obligent les autorités à démissionner; les radicaux remplacent les libéraux: les Jésuites seront chassés du territoire suisse à la suite du Sonderbund. La Révolution de 1845 se passe sans effusion de sang, et elle réussit. Mais en automne, les deux tiers des pasteurs sont démis de leurs fonctions, car ils refusent de lire l’injonction des nouvelles autorités d’approuver la nouvelle constitution vaudoise. L’Académie est décimée.

Contraint d’accepter une élection au Conseil fédéral en 1848, Druey dut se ranger à l’idée du bicamérisme, sur le modèle des Etats-Unis. Seul pays d’Europe à réussir sa mue en 1848, la Suisse est détestée des puissances voisines, d’autant plus qu’elle accueillera presque tous les révolutionnaires et anarchistes qu’elles chassaient. Druey siégera au Conseil fédéral jusqu’à sa mort en 1855.

* * *

Le dernier exposé de la série a été présenté par Roger Francillon, l’un des coordinateurs des ?'uvres complètes de Ramuz chez Slatkine (29 vol.). Il parle avec fougue de «C. F. Ramuz en son temps». Le petit Village, la première œuvre de l’écrivain, refusée à Lausanne, est éditée à Genève, l’année du centenaire du Canton de Vaud. Dans son milieu de commerçants liés à la campagne, sa vocation est mal perçue. Durant son premier séjour parisien, il ne fréquente pas les milieux littéraires, mais revient avec un roman resté inédit, Jean-Daniel Crausaz, premier portrait de l’artiste, avant Aimé Pache, peintre vaudois. De retour à Paris en 1904, il rencontre Edouard Rod, qui l’encouragera, et écrit dans les journaux vaudois et genevois pour gagner sa vie. Puis c’est le grand succès des Circonstances de la vie, nominé pour le Goncourt et déjà attaqué pour la liberté prise avec la langue. La découverte du Valais influence dès lors sa vision du monde et de l’homme, petit être au milieu des forces verticales, et son identité vaudoise, ni suisse, ni française, s’affirme dans Samuel Belet.

Le premier Cahier Vaudois, Raison d’être, est un manifeste artistique qui trouvera son pendant dans La jeune peinture romande présentée aux Zuricois, de Paul Budry, qui annonce «un ferment à faire sauter le sec intellect que des baillis, des pasteurs et des pédagogues ont acclimaté de force sur nos coteaux égéens». Ramuz renonce alors aux romans explicatifs et met au point un nouveau ton, et une syntaxe brisée qu’il doit à sa collaboration avec Stravinsky. Sa langue, qui refuse totalement l’académisme, est une langue «fabriquée», qui doit rendre proches les sensations, la réalité des choses et des sentiments. Il l’a obtenue au prix d’un travail acharné, quotidien, méthodique.

Si les années 1914-1924 sont difficiles pour l’écrivain, la suite verra une amélioration grâce à la fidélité de son éditeur Grasset et de son mécène -H.-L. Mermod, grâce aussi au soutien de plusieurs hommes de lettres parisiens, au Prix romand qui lui permettra d’acquérir La Muette, enfin au Grand Prix Schiller, en 1936, où il affronte toute l’officialité en déclarant: «Comment parler de la Suisse, un pays qui n’existe pas?» En 1938, il est reçu en grande pompe à Paris où, malgré l’absence du chargé culturel de la Suisse, il prononce Une province qui n’en est pas une : il est resté le rebelle vaudois! Cette identité, il l’affirme aussi dans les préfaces qu’il donne à l’Histoire du Pays de Vaud de Richard Paquier ou au Canton de Vaud de Juste Olivier.

Remercions une dernière fois les organisateurs de ce cycle passionnant, l’Université populaire de Lausanne et la Fondation Marcel Regamey.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: