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Loi sur le renseignement et fédéralisme

Félicien Monnier
La Nation n° 2048 8 juillet 2016

Nous voterons en septembre sur la nouvelle loi fédérale sur le renseignement (LRens). Il convient de l’analyser sous l’angle du fédéralisme.

D’après son chapeau, la LRens du 25 septembre 2015 se base sur les art. 54 al. 1 et 173 al. 2 Cst féd. Le premier fonde la compétence de la Confédération en matière de relations extérieures et de diplomatie. Le second donne à l’Assemblée fédérale la compétence de s’occuper des matières dévolues à la Confédération mais pas attribuées à un autre organe. Il n’y a pas dans la Constitution fédérale de dispositions expresses créant un service de renseignement.

Pour le Conseil fédéral, il n’y a pas en matière de sécurité intérieure et extérieure d’exigence absolue de base constitutionnelle. L’exercice de la souveraineté fédérale justifierait cela. On admet que la Confédération assure sa propre sécurité; y compris lorsque la menace est «intérieure», entendons civile, et non «extérieure» et potentiellement militaire. Ce sont ici les compétences de la juridiction pénale fédérale, épaulée par la police judiciaire fédérale (Fedpol) qui apparaissent. Elles concernent les infractions contre les intérêts de la Confédération, du faux timbre postal à la prise d’otage cherchant à contraindre les autorités fédérales, avec ou sans usage d’explosif. Cet équilibre est acceptable et peut demeurer ainsi.

La sécurité extérieure relève de la Confédération, historique alliance militaire. La mission originale et ultime de la Confédération est d’assurer l’intégrité du territoire et les libertés des cantons suisses. Elle repose sur l’art. 58 Cst. féd.: «La Suisse a une armée». Nous postulons que cette compétence est la seule naturelle de la Berne fédérale. Pour paraphraser, disons que «la Suisse est une armée»1.

L’actuel SRC, Service de renseignement de la Confédération, se rattache justement au Département de la défense. La LRens ne change rien à cela. Le SRC est né de la fusion de l’ancien Service d’analyse et de prévention du DFJP avec le Service de renseignement stratégique du DDPS. La Confédération ne dispose donc aujourd’hui plus que d’un seul service, chargé d’évaluer à la fois la sécurité intérieure et extérieure de la Confédération. Pour ce que nous en savons, l’air du bureau y est très «Schweizer Armee». Beaucoup de ses cadres sont officiers. De son côté, l’armée conserve son Service de renseignement de l’armée (SRA). Il lui permet d’assurer ses besoins en renseignements, eu égard à ses missions en cours et à sa propre planification.

L’existence du SRC serait donc une extension de cette compétence naturelle de la Confédération d’assurer sa propre protection. Mais contre quelles menaces doit-il nous prémunir? La LRens en dénombre cinq: le terrorisme, l’espionnage, la dissémination d’armes de destruction massive, les attaques visant les infrastructures de communication et l’extrémisme violent. De tels actes ne sont pas a priori constitutifs d’une infraction fédérale. Les cantons seront souvent amenés à intervenir sur de tels cas. Certains cas d’espionnage concerneront même sans doute la justice militaire.

Cette liste révèle combien le paysage sécuritaire s’est compliqué. De même, force est d’admettre que la distinction entre sécurité intérieure et extérieure devient floue. Les moyens de communication actuels permettent de planifier et conduire depuis l’étranger une opération comprenant l’usage de moyens militaires, des citoyens vaudois servant par hypothèse d’exécutants. Ce fut le cas des deux volées d’attentas de Paris, commises par des Français. Le délitement international actuel augmente la probabilité que des groupes étrangers s’affrontent sur notre territoire. Là encore, la question est difficile à trancher: s’agit-il de problèmes de sécurité intérieure des cantons avec recours aux polices cantonales, ou de sécurité extérieure et, a fortiori, d'engagement de l’armée? L’expérience ukrainienne révèle que la guerre, même interétatique, prend un tour mixte (on dit parfois «hybride»): elle mêle des groupes armés locaux à des agents étrangers. L’écart entre la sédition et l’invasion s’est rétréci.

Cette confusion, à laquelle s'ajoute la tendance – déjà très forte en France et aux USA – à militariser la police, nous interpelle néanmoins. Il est frappant de voir sur CNN intervenir des policiers équipés comme des GI’s en Afghanistan. Cette tendance recèle un danger réel de perte de compétences pour les cantons, pourtant berceaux de la liberté et de l’intégration. Et le risque est grand que nous soit un jour proposé un grand département fédéral de la sécurité, chapeautant les polices cantonales. Nous n’en sommes heureusement pas encore là.

Dans ce contexte, des problèmes sécuritaires concernent inévitablement et avec la même légitimité à la fois les cantons et la Confédération. Une certaine redondance s’ensuit logiquement. La personnalité des chefs, politiques et tactiques, se révèle alors fondamentale. Elle assure le respect des prérogatives de chacun et garantit une collaboration intelligente. La petite taille de la Suisse facilite de telles relations personnelles.

De même le principe de subsidiarité veut que l’engagement de l’armée au profit des autorités civiles se fasse sous la responsabilité des cantons. Une fois encore, la Confédération n’intervient pas comme décideur.

Concrètement, la LRens ne fait que donner de nouveaux moyens d’acquisition de renseignements à un organe déjà existant, rattaché au département de la défense. Elle ne crée pas de FBI suisse. Les compétences juridictionnelles de la Confédération ne sont pas étendues. De même, la Police judiciaire fédérale ne gagne aucune nouvelle prérogative. Il est vrai que, de fait, la LRens renforce la Confédération. Mais elle la renforce un peu comme un nouveau char renforcerait l’armée. Elle la confirme dans sa compétence naturelle de défense nationale.

Si nous votons non – notre avis n’est pas encore définitif – ce ne sera pas au nom du fédéralisme.

Notes:

1 La formule revient au Conseil fédéral. Il l’avait utilisée au cours de la campagne contre l’initiative du GSsA pour la suppression de l’armée, en 1989.

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