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Faut-il se réjouir du Brexit?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2049 22 juillet 2016

Avouons qu’il est difficile de ne pas sourire devant la stupéfaction de cette bureaucratie européenne qui ne peut imaginer qu’on la quitte quand on a le bonheur d’en faire partie, et de sourire plus largement encore en voyant l’indignation affolée de ces «élites» médiatico-politologiques si persuadées que l’avenir du monde leur appartient. Mais retenons-nous, la Schadenfreude n’est pas une attitude politique.

En revanche, il est naturel d’admirer un pays qui ose s’extraire d’un destin censément tout tracé d’«union toujours plus étroite» et affronter les bouleversements de toutes sortes, et pas forcément prévisibles, que lui vaudra sa souveraineté restaurée.

Les mouvements et partis nationalistes ont salué avec jubilation l’abandon de l’Union par l’un de ses membres les plus puissants. Ils en attendent évidemment quelques solides dividendes électoraux. Certains surenchérissent en exigeant l’organisation d’un référendum populaire portant sur l’«exit» de leur propre pays.

Faut-il voir dans le vote anglais l’amorce d’une révolte qui, de proche en proche, va déferler sur l’Europe entière, annonçant la fin de l’Union et le retour des nations autonomes sur la scène politique du monde? On peut en discuter. Ce qui est sûr, c’est que la politique n’est pas une balançoire à bascule. Il ne suffit pas que l’Union européenne descende pour que les nations montent.

L’Europe – je ne dis pas l’Union européenne – l’Europe est déchirée entre deux forces antagonistes: d’une part, la volonté d’indépendance qui continue d’animer les nations européennes et, de l’autre, l’idéologie mondialiste qui inspire les actes et les paroles de l’Union. Cette idéologie, mixte de globalisation économique et d’internationalisme égalitaire, unit la droite affairiste et la gauche rose et verte, avec tout de même pas mal de réticences syndicales.

La volonté d’indépendance a pris le dessus en Angleterre, mais ne croyons pas que l’idéologie mondialiste va s’en trouver affaiblie! Le propre de l’idéologie est de résister à l’expérience qui la contredit. C’est logique, puisque c’est elle-même qui décide ce qui est pertinent. Etant juge suprême du vrai, elle échappe à tout jugement. Et c’est à travers elle qu’il faut interpréter le Brexit, c’est à sa lumière qu’il faut le voir comme un détour, certes choquant et inutile, mais provisoire et qui ne modifiera en rien la direction générale des affaires du monde.

En 2004, le conseiller fédéral Joseph Deiss définissait le rejet de l’EEE comme «une erreur historique». Il ne voulait pas simplement dire que c’était une erreur politique dont on se souviendrait, comme celle d’un arbitre de football qui inverserait le cours d’une finale en sifflant un penalty imaginaire. Il s’agissait d’une erreur métaphysique en tant que la Suisse s’opposait au déroulement inéluctable de l’Histoire. En regard de cet impair de grand fond, le retour de la prospérité économique suisse et la situation catastrophique des Etats du Sud européen ne représentaient, aux yeux de l’ancien conseiller fédéral, que des péripéties sans portée démonstrative.

Parce qu’elle est une promesse, l’idéologie échappe par définition aux sanctions de l’expérience. L’expérience, c’est du passé, alors que l’idéologie fuit dans un futur perpétuel, auquel elle nous appelle constamment à sacrifier le présent.

Dans les cas graves, elle se choisit un bouc émissaire qui prendra sur lui la déception des fidèles. Il semble que ce sera M. Jean-Claude Juncker, qu’on découvre brusquement pourri de défauts et bardé d’incompétences. Son sacrifice permettra de solder le compte et de continuer comme devant.

On continuera même mieux que devant. Car l’Angleterre était un membre très encombrant de l’Union. Malgré les avantages et les dérogations que celle-ci lui avait consentis pour s’assurer sa participation, elle s’opposait à toutes les tentatives de renforcer le pouvoir de l’Union, notamment en matière de défense commune. L’idéologie aura le champ plus libre avec son départ. Le Brexit prive ainsi les autres Etats de l’Union d’un puissant contrepoids aux aspirations centripètes du pouvoir central.

En résumé, le Brexit aiguillonne simultanément deux tendances contradictoires: sa réussite spectaculaire offre un tremplin émotionnel aux partis nationalistes tout en débarrassant ceux qui demandent «plus d’Europe» d’un boulet de belle taille.

Les deux tendances ne sont pas égales. L’idéologie exerce une pression aussi constante et aveugle que la force de la pesanteur. Elle ne demande à l’idéologue d’autre effort que de répéter inlassablement son catéchisme. Au contraire, les partis souverainistes, ou nationalistes, ou populistes doivent fournir des efforts sans cesse accrus pour maintenir au bon niveau l’émotion populaire sur laquelle ils godillent. Ces efforts n'empêcheront pas l’émotion de retomber tôt ou tard. Dans la durée, l’idéologie l’emporte fatalement. Pour vaincre l’idéologie, il faut aussi l’affronter sur son terrain, qui est celui des idées et, sous certains aspects, de la religion.

Ce serait enfin une erreur de voir dans l’Union la source unique de tous les maux politiques et économiques des Etats européens. Même si elles sont mieux outillées politiquement pour en combattre les effets, les nations ne sont pas indemnes de l’idéologie qui meut l’Union européenne. Ce n’est donc pas parce qu’un Etat sort de l’Union qu’il ne connaîtra plus d’étatisme, de centralisation, de mondialisation, d’immigration incontrôlée, de pistonnage et de corruption.

Dans le meilleur des cas, tout reste à faire. Il est donc à propos de se réjouir avec prudence et modération.

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