Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Souvenirs de Paul Hugger, révélateur des Vaudois à eux-mêmes

Yves Gerhard
La Nation n° 2053 16 septembre 2016

Le 1er septembre, à Chardonne, s’est éteint Paul Hugger, grand ethnologue suisse alémanique. Né en 1930, élevé à Saint-Gall, adolescent il se révolta contre sa famille et contre l’école, rappelait sa veuve à son service funèbre. Placé en internat à Stans, il fut suspendu des cours six mois avant la maturité; mais, admis aux examens, il sortit premier de sa volée!

Professeur de français au Gymnase de Bâle, il se consacra à sa mission avec une haute conscience professionnelle, mais l’énergie de ce surdoué lui permit aussi de se lancer dans des recherches sur le terrain, notamment dans les régions où il vivait: par exemple à Amden (SG), ou dans le Fricktal, région misérable de paysans du canton d’Argovie, que la chimie bâloise a transformée, en une génération, en une banlieue proprette. Puis son intérêt se tourne vers la Suisse romande et, parcourant le Jura vaudois, il interroge les bergers, les fromagers, les propriétaires, les municipaux, de la Dôle au Mont-Aubert, pour saisir dans un portrait vivant et précis les conditions de la vie des alpages dans Le Jura vaudois (Ed. 24 heures, 1975), puis avec l’important chapitre sur les Brigands du Jorat dans Rebelles et hors-la-loi en Suisse (Ed. 24 heures, 1977).

Puis survient l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud : aucun professeur, dans les universités romandes, ne pouvait traiter de l’aspect ethnologique de la réalité vaudoise. Bertil Galland se tourna alors vers le Bâlois devenu un ami, pour lui demander que faire. Lors d’une après-midi mémorable sous un arbre en Tilèrie, sur le flanc est du Mormont, Paul Hugger, s’adressant au Comité, présenta comme une évidence la méthode à utiliser: former des groupes par région et interroger les gens qui s’y étaient inscrits sur leur manière de vivre. Comment choisit-on le parrain et la marraine d’un enfant? Comment celui-ci vit-il sa scolarité? La confirmation, les sociétés de jeunesse, le mariage et ses coutumes, les relations professionnelles, les loisirs, la vieillesse et ses problèmes, la mort, ses rites et ses croyances. Les membres du Comité se répartirent les seize régions, on acheta des enregistreurs de qualité, les habitants répondirent à notre appel, de multiples séances furent organisées pour parler de tel thème, à bâtons rompus. Résultat: plus de 300 heures de témoignages enregistrés sur cassettes (transférés plus tard sur CD-Rom, à disposition de futurs chercheurs). Puis il a bien fallu dactylographier tous ces entretiens, les photocopier pour obtenir les 16 classeurs, un par région (ils sont aux Archives cantonales). Et nouvel embarras: qu’en faire?

Malgré son enseignement au Gymnase, durant ses vacances et grâce à quelques congés payés, Paul Hugger s’est emparé de cette masse énorme: une série de classeurs est restée intacte, par régions, et une autre série a été débitée à coups de ciseaux pour obtenir des paquets de témoignages thématiques! Fort de cet appareil compliqué, avant toute facilité informatique, il a rédigé son texte sur la vie des Vaudois… en allemand. Il a fallu alors trouver des traducteurs pour obtenir le tome 10 de l’Encyclopédie : La Vie quotidienne I, Les Ages de la Vie.

En hommage au savant bâlois, relisez ce beau volume: vous y trouverez toute l’humanité, toute l’intelligence, toute l’empathie de Hugger pour son sujet. Ni le texte, ni les illustrations, ni les encadrés ne laissent percevoir les difficultés qu’il a fallu vaincre pour obtenir ce livre, qui a révélé aux Vaudois leur vraie manière d’envisager la vie.

L’année de sa publication, 1982, marque aussi la nomination de Paul Hugger comme professeur d’ethnologie régionale européenne à l’Université de Zurich. Ecartant d’un revers de la main ou d’un sourire narquois les tenants du structuralisme ou du sociologisme, les folkloristes de pacotille tout comme les adulateurs des statistiques et des questionnaires tout faits, le professeur enseigna une méthode plus humble et plus vraie: le contact avec les gens de métier, les entretiens personnels, l’observation sur place. La suite des publications, nombreuses, se déroule en allemand. Mais les titres montrent sans peine l’approche des petites gens, la profondeur de vues, le sérieux devant les usages locaux qui caractérisent le savant: Les Suisses: Modes de vie, traditions et mentalités (3 vol. traduits, Payot, 1992), Die Schweiz zwischen Hirtenidylle und High-Tech-Performance (1993), Kind sein in der Schweiz (1998), Meister Tod (2002) sur les usages funéraires, Zwischen Himmel und Erde, Wallfahrtsorte der Schweiz (2007) traduit en français sous le titre Lieux de pèlerinage (Le Savoir Suisse, 2009), Wir sind jemand (2012), photographies de groupes au tournant du XXe siècle, pour n’en citer que quelques-uns.

Dans un autre domaine, il faut relever l’esprit d’initiative de Paul Hugger: les photographies anciennes et les films sur des métiers qui disparaissent. Longtemps responsable de la Section cinéma de la Société suisse des traditions populaires, il a fait tourner à Claude Champion et Yves Yersin, pour le Canton de Vaud, dix films sur les derniers artisans d’un savoir-faire ancestral.

La Suisse perd l’un de ses connaisseurs les plus subtils, le Canton l’homme qui a fait parler les Vaudois pour qu’ils se révèlent à eux-mêmes.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: