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Vladimir le dur

Jean-François Cavin
La Nation n° 2057 11 novembre 2016

On peut considérer Vladimir Poutine comme un grand chef d’Etat ou le tenir pour un tyran assoiffé de pouvoir et de conquêtes. Hillary Clinton le traite comme un criminel qu’il faut neutraliser; ça promet pour la tranquillité du monde. Il est certes difficile de l’aimer, cet ancien du KGB froid, calculateur, probablement cruel quand il estime utile d’éliminer quelqu’un qui se met en travers de son chemin. Mais il a le don de la Realpolitik et a su rendre sa fierté à un pays décomposé par la chute du communisme et pourri par les années de chaos du fantasque Eltsine.

Ses jeunes années sont décrites, dans L’Information immobilière de cet automne, par l’écrivain Vladimir Fédorovski. Nous y avons trouvé des renseignements inédits à nos yeux, car si les années de Poutine au KGB et à la mairie de Leningrad ont fait l’objet de diverses recensions – pour ce qu’on peut savoir de la vie d’un agent secret… –, son enfance a moins été mise en lumière, nous semble-t-il. Or elle n’est pas sans importance pour la connaissance de l’homme.

Laissons la plume à Fédorovski: Pur produit de la fin du stalinisme, Poutine naît à Leningrad le 7 octobre 1952 au sein d’une famille ouvrière dont il est le dernier fils, ses deux frères Victor et Oleg, nés dans les années trente, étant décédés en bas âge. Sa mère et son père, tous deux nés en 1911, ont alors 41 ans. Vladimir est donc l’enfant tardif de parents rescapés du siège de Leningrad qui fut soumise à un blocus des troupes allemandes durant presque 900 jours, tragédie qui se solda par un million huit cent mille morts. C’est dans cette âpre atmosphère d’après-guerre, dans une misère totale, que se développe le jeune Poutine, vivant dans un appartement communautaire de 20 m2 dans l’un des quartiers défavorisés de la ville soumis aux lois de la rue où, pour survivre, il faut sans cesse se battre. […] La façon qu’il a aujourd’hui de répondre coup pour coup au niveau international remonte à cette enfance, qui fut marquée du sentiment aigu de l’héroïsme national doublé d’une rage de vivre.

Il a pu observer les gens au pouvoir dans le quartier où il a grandi: La pègre y faisait la loi, avec des chefs si puissants qu’on les a surnommés en russe les «voleurs-en-loi» […] Au-dessus de la mêlée, ils déterminent tout, gérant la cagnotte globale. Nul besoin dès lors d’être vulgairement corrompu et de s’en mettre plein les poches […].

Il faut l’entendre évoquer la figure bien-aimée de son grand-père paternel, Spiridon Poutine, qui fut cuisinier au service de Lénine, puis de Staline… Cette intimité avec la dictature suprême a été essentielle dans son imaginaire d’enfant. Son père, Vladimir Spiridonovitch Poutine, ouvrier dans une usine d’armement de Leningrad, fut, quant à lui, officier du NKVD, la police secrète de Staline. Engagé contre les forces allemandes, il dut un jour son salut en plongeant dans l’eau d’un marais où il survécut en respirant grâce à un roseau; c’est dire la force mentale de cet homme qui sera plus tard aux deux tiers invalide.

Avec cet arrière-fond d’ouvriérisme, d’approche du pouvoir absolu, de hantise de la tragédie de Leningrad que sa mère, Maria Ivanovna Poutina, éprouva dans sa chair, ainsi que de fascination pour le courage militaire, on voit se développer sous l’ère brejnévienne un gamin passionné de films d’espionnage qui se sauve de tout grâce aux sports de combat, la sambo, mélange de boxe et de lutte, et plus tard le judo – il sera ceinture noire, membre de l’équipe russe aux JO – tout en rêvant d’être un James Bond à la soviétique. La pratique de cette violence contrôlée lui permettra de combattre sans relâche, et en connaissance de cause, le judo à haut niveau étant une ascèse où l’on capte la force de l’adversaire pour le déséquilibrer.

Il sait en tout cas assez bien déséquilibrer l’Occident, en Géorgie, en Crimée, en Ukraine, en Syrie, sinon pour étendre l’Empire russe, du moins pour défendre ses positions dans les zones où il ne faut pas venir le «chercher», comme l’a fait stupidement l’Union européenne, appuyée parfois par les USA. Le gamin devenu un dur dans les bas-quartiers de Leningrad est resté un dur. Mais son ascension ne s’explique pas seulement par sa pugnacité. Il faut aussi de l’intelligence, et Vladimir Poutine n’en manque certainement pas, même s’il fut, dit-on, très médiocre à l’école.

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