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Brexit: le retour à la souveraineté nationale permet l’ouverture internationale

AMD
La Nation n° 2058 25 novembre 2016

La blague qui prévalait avant le référendum du Brexit voulait que les Britanniques, qui avaient depuis longtemps un pied dans l’Union européenne (UE) et un dehors, allaient essayer de négocier un statut qui leur permette d’être dans la situation inverse. Cinq mois après la décision populaire, la tendance est plutôt au saut à pieds joints – avec élan – en dehors de l’UE, pour atterrir le plus loin possible de Bruxelles.

Les juges contre le peuple et le gouvernement

Telle est la volonté affichée par Theresa May dans son premier discours1 devant le Parti conservateur depuis son accession à la fonction de Premier ministre. Un discours offensif sur une ligne «hard Brexit» assumée, alors que la Haute Cour de Londres veut obliger le gouvernement à passer par le Parlement – majoritairement opposé au Brexit – pour déclencher la sortie de l’UE. Selon cette cour, le référendum n’aurait qu’une valeur consultative. Le gouvernement a fait appel de cette décision prise par trois juges contre une majorité de 17.4 millions de votants. Une crise politique qui ne va pas sans rappeler la crise constitutionnelle – déjà évoquée dans ce journal – à la suite de la victoire de l’initiative contre l’immigration de masse.

Un gouvernement convaincu et convaincant

Les Britanniques ont su placer un personnel politique de qualité au sein des grands offices d’Etat. Des personnalités convaincues par le Brexit et, surtout, capables de le mettre en œuvre en menant des négociations dures. Le gouvernement a donc su créer des conditions favorables pour se réapproprier ses pouvoirs régaliens, malgré l’obstruction des juges et les menaces de l’UE. L’occasion pour la Suisse de tirer quelques leçons et de faire le point sur le Brexit et sur ses conséquences sur le plan économique, social et politique.

Une économie résiliente

Sur le plan économique, force est de constater que les prévisions cataclysmiques des Cassandre ne se sont pas réalisées. Au contraire, l’économie du Royaume-Uni fait preuve d’une résilience toute britannique, notamment grâce aux mesures prises en toute indépendance par la Banque d’Angleterre. Le taux d’inflation est stable, comme celui du chômage. Contre toute attente, la bourse de Londres a même atteint un sommet historique mi-octobre. Une performance qui n’est pas observable chez ses voisins européens. De plus, la dépréciation de la livre permet aux multinationales britanniques de réduire leurs dettes, d’accroître les exportations et leurs revenus à l’étranger. Cette dépréciation fait également la joie des touristes, puisque le prix du «week-end shopping à Londres» n’a jamais été aussi attractif, particulièrement pour les Suisses. Résultat: le secteur du tourisme connaît un bond d’environ 20% depuis le Brexit.

L’incertitude, principale menace

En revanche, il est vrai que la City va souffrir pendant quelque temps encore. Le gouvernement conservateur a désormais tendance à privilégier la compétitivité de l’industrie au détriment de la finance, ce qui est une révolution dans la révolution. L’incertitude juridique liée au choc du 23 juin freine également les investissements à long terme, en particulier dans le domaine des fusions-acquisitions et de l’immobilier. Toutefois, Mme le Premier ministre a su habilement réduire cette incertitude en martelant une position politique ferme dans son discours: «Brexit means Brexit!».

Réduire l’incertitude par une position ferme

Sur le plan politique, Theresa May se profile donc sur un Brexit dur, soit un divorce net et irrévocable. Elle a clairement affirmé sa volonté de restaurer la souveraineté, en se débarrassant par exemple de la tutelle juridique de la cour de justice de l’UE. Bien que mollement favorable au statu quo pendant la campagne, elle exclut désormais toute tentative de rester insidieusement dans l’UE par des portes dérobées ou avec un second référendum. Un exemple admirable d’humilité et de respect de la volonté populaire. Sur le plan diplomatique, cette position ferme s’avère également payante. En annonçant l’ouverture des négociations avec l’UE pour fin mars, Theresa May a précisé avec un culot thatchérien que son pays ne demanderait simplement… rien! Le message est clair: l’UE n’est pas une priorité et nous pouvons vivre sans elle. Cette attitude comporte certainement une part de bluff, car les Britanniques ne sont sans doute pas prêts à renoncer à tout l’acquis communautaire. En ne cherchant pas à plaire à Bruxelles et aux juges, cette position audacieuse a le mérite d’établir un rapport de force favorable au Royaume-Uni avant les négociations.

Un regain de confiance identitaire

Sur le plan social, le Brexit a touché au plus profond de l’inconscient collectif du peuple britannique. La perspective du retour à la souveraineté a favorisé un regain de confiance dans les ménages. Cette confiance retrouvée dans la Couronne n’est pas un «isolement», pour reprendre la terminologie des opposants au Brexit. Au contraire, une conscience identitaire assumée favorise en réalité l’ouverture à l’Autre et à la Différence, si chère aux europhiles. Le paradoxe n’est qu’apparent: alors que la sortie était présentée comme un repli, le retour à la souveraineté nationale permet dans les faits une ouverture internationale. L’UE est en réalité la grande fermeture. Son carcan bureaucratique était un frein au développement de cette nation qui a toujours eu goût pour le grand large. Si le référendum a réveillé quelques nostalgies de l’Empire, il ne s’agit généralement pas d’un colonialisme agressif, mais plutôt d’une volonté d’intensifier les échanges économiques avec les pays du Commonwealth.

Des ouvertures diplomatiques

Le Royaume-Uni peut désormais négocier en ligne directe, comme la Suisse, des accords de libre-échange avec ses partenaires privilégiés: l’Inde, le Canada, la Nouvelle-Zélande, etc. Ces accords pourront compenser la perte éventuelle des avantages économiques (absence de tarifs douaniers) du marché intérieur de l’UE. Certains rêvent déjà de voir Londres se transformer en une sorte de Singapour européen, une cité-Etat à la fois souveraine et ouverte aux échanges, comme le fut la République de Venise à son apogée au XIIIe siècle. Notons que les micro-Etats souverains (Hong Kong, Monaco, le Vatican, etc.) sont souvent mieux gérés et plus prospères que les grands empires centralisateurs.

Une libération bénéfique

A long terme, ce divorce se révélera certainement comme une libération bénéfique pour le Royaume-Uni. Il n’a en réalité jamais été heureux dans son mariage d’intérêts avec l’UE. Cette épouse castratrice et possessive refuse aujourd’hui la séparation, car elle sait que son pouvoir de séduction n’a cessé de baisser avec les années. En retrouvant son identité, son autonomie et sa confiance en lui, le Royaume-Uni est un célibataire attractif. Gageons que les prétendantes seront nombreuses et autrement plus séduisantes que l’UE.

Une opportunité pour l’AELE

La Suisse aurait intérêt à favoriser un rapprochement entre le Royaume- Uni et l’AELE qui a toujours son siège à Genève. Rappelons que la Suisse est membre de l’AELE depuis 1960 et que le Royaume-Uni en fut membre de 1960 à 1973. Cette zone de libre-échange s’avère bien plus efficace et moins bureaucratique que l’UE. Elle a désormais une occasion unique de se développer et d’accomplir sa mission historique: concurrencer la Communauté économique européenne.

Une thalassocratie contre la mondialisation

Ne nous trompons pas: les intérêts britanniques ne sont pas les nôtres. Il existera toujours un antagonisme fondamental entre le Royaume-Uni, puissance océanique aux intérêts insulaires2, et les intérêts des puissances continentales de la vieille Europe. En revanche, des alliances de circonstance entre eurosceptiques contre les pressions de l’UE seraient les bienvenues. Berceau du libéralisme et de la matrice mondialiste, le Royaume-Uni se retrouve paradoxalement à l’avant-garde d’une forme inédite de démondialisation. Dans son discours, Mme May n’a pas hésité à remettre en cause les quatre libertés (les quatre dogmes?) du marché intérieur de l’UE: libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux. Elle a même dénoncé les élites cosmopolites et les citoyens du monde qui sont en réalité de nulle part. Theresa May serait-elle sur le point d’inventer un remède aux excès du mondialisme? La dose fait le poison. Et le poison à petite dose le vaccin.

Une internationale souverainiste?

Les USA ont toujours soutenu, dans leur propre intérêt, la construction européenne. L’arrivée d’un eurosceptique à la Maison-Blanche est donc une première historique. Le président élu a invité Theresa May à lui rendre visite aussi vite que possible. Rappelant ses racines écossaises, il a promis de renforcer la relation spéciale entre les deux pays. Une relation privilégiée qui rappelle l’alliance forte entre Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Cette ouverture inattendue est possible grâce au Brexit et à l’attitude souveraine de Theresa May. Elle s’est gardée de toute critique envers le candidat Trump qui n’oublie pas les coups reçus par l’establishment européen. Une entente en bonne intelligence «entre souverainistes» devrait permettre de rapidement renforcer le commerce et les investissements bilatéraux entre le Royaume-Uni et son ancienne colonie.

La jurisprudence Brexit

Sur le plan européen, la séparation a créé un précédent. Le néologisme «Brexit» est entré dans le langage courant et a été élu mot de l’année par le dictionnaire Collins. Les mouvements «populistes»3 qui ont le vent en poupe ne manqueront pas de se référer à la «jurisprudence Brexit» pour se distancer de Bruxelles ou pour demander leur propre «exit», comme l’anticipait La Nation no 2049. Donald Trump fait souvent référence au Brexit dans ses discours et a obtenu le soutien officiel de Nigel Farage.

Une nouvelle Dame de fer

David Cameron a assumé ses responsabilités en démissionnant après sa défaite, cédant sa place avec élégance à une véritable femme d’Etat. En rapprochant le pays légal du pays réel, cette nouvelle Dame de fer se révèle bien plus courageuse que nombre de ses homologues masculins. Theresa May a su rompre avec une politique poursuivie depuis plus de quarante ans et briser certains tabous: patriotisme économique, contrôle sur les investissements étrangers, préférence nationale, gestion autonome de la politique migratoire, etc. En somme, elle est revenue aux fondamentaux: sans frontières, pas de libertés. Sans souveraineté nationale, pas d’ouverture internationale. Dans ces conditions, on comprend pourquoi le Royaume-Uni n’a pas perdu de guerres depuis deux siècles. Comme par le passé, les Britanniques se révèlent déterminés, pragmatiques, audacieux, fin stratèges et doués en affaires. On ne peut pas en dire autant du gouvernement suisse dans ses négociations avec Bruxelles.

Notes:

1 La vidéo du discours est accessible sur YouTube: https://youtube/08JN73K1JDc

2 A ce sujet on peut relire l’article de Jean-François Cavin «Le Brexit et l’Histoire» paru dans La Nation n° 2048.

3 Une bonne analyse sur l’état des lieux du populisme a été publiée dans La Nation n° 2052 par Lionel Hort.

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