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Retrouver Pierre-Louis Matthey

Yves Gerhard
La Nation n° 2060 23 décembre 2016

Un peu discrètement à notre gré, les œuvres complètes de Pierre- Louis Matthey ont été republiées ce printemps par les Editions Empreintes, en cinq volumes, sous la direction de Marion Graf et José-Flore Tappy.

Les Cahiers de la Renaissance vaudoise, sous la direction de Bertil Galland, avaient édité le dernier état de l’œuvre poétique de Matthey, tel qu’il le souhaitait: le poète avait repris l’entier de ses publications pour les agencer et les corriger en vue de cette édition de 1968, qui forme son testament en un diptyque: «Poésie française» et «Poésie anglaise». En 1943 déjà, Henry- Louis Mermod avait publié un bilan retouché et réorganisé de l’œuvre de Matthey sous le titre Poésies 1910-1942.

L’édition de cette année reprend toutes les publications du poète vaudois, et montre par des tableaux l’évolution de cette œuvre sans cesse corrigée, alors qu’un jugement averti peut considérer les éditions originales comme déjà pleinement abouties. C’est que l’esthétique de Pierre-Louis Matthey a évolué: «Après la révolte et la passion de ses premiers livres, puis l’ironie et le maniérisme des œuvres de la maturité, le poète se tourne vers un équilibre plus proche du néo-classicisme», écrit Marion Graf dans l’introduction générale.

Parlant de lui-même comme d’un «impénitent remédieur», rarement satisfait de ses vers pourtant impeccables, Matthey a voulu sans cesse insérer dans son œuvre les étapes successives de sa réflexion sur la poésie. On est d’autant plus reconnaissant aux deux éditrices d’avoir redonné dans ces volumes l’état des premières publications, jusque dans la mise en page originale, et d’avoir mis en notes ou en annexes les modifications des éditions suivantes, ce qui permet de suivre les corrections et repentirs du poète vers après vers. Pour Seize à Vingt, 7e Cahier vaudois publié en 1914, un solide dossier montre les remaniements que Matthey a fait subir à cette œuvre de jeunesse au cours de toute sa vie.

Les années 1915 à 1920 sont très fécondes: Semaines de passion et Même sang sont publiés durant ces années. Après la révolte et les tourments de l’adolescence, le premier de ces recueils élargit la palette des sentiments et des émotions:

«J’ai soif d’infinité. Le jour blanc fume et passe

Elan mi-déployé qui plie avant le ciel

Et pèse aux arbres gris, ainsi, lasse, une face,

Sur les mains de désir d’un amour trop mortel…

Tout, tout me dit adieu: lumière et convoitises

Rayons trop courts pour me percer de part en part,

Rayons mal épointés qui griffent et meurtrissent

Et m’atteignent la chair sans m’atteindre le cœur.»

Evocation des lumières, reprises verbales, sorte de détachement tragique face à la vie: la poésie de Pierre-Louis Matthey exige bien sûr une certaine attention, mais elle n’est pas obscure ni hermétique, comme on l’a parfois dit.

Dans la suite de sa vie, Matthey passera des années sans rien publier. Mais il traduit Shakespeare et les poètes anglais, dont il recrée les vers «à livre fermé», après les avoir ruminés longuement (on les trouvera dans le volume V des Editions Empreintes). La rencontre d’Henry-Louis Mermod est alors décisive pour la suite de son œuvre: il se remet au travail, dans une veine nouvelle, plus classique, ironique, détachée des passions obscures qui le hantaient dans ses débuts. La mythologie grecque y tient une place étonnante: loin d’être utilisée de façon érudite, elle décrit des personnages on ne peut plus vivants et concrets. Voyez cette Vénus surprise par les autres dieux dans une situation qui eût embarrassé plus d’une, en pleine étreinte avec le dieu Mars, son amant:

«Au douillet traquenard, j’éprouve aise absolue!»

Devant cette scène de tromperie, chaque dieu, chaque déesse présente son commentaire sur la situation scabreuse. Dans cette série, Vénus et le Sylphe, on est plus dans un salon mondain ou le palace d’une station balnéaire chic que dans un manuel de mythologie! La virtuosité s’inspire directement du La Fontaine des Contes. Mais des sujets plus graves, ses proches disparus (dans Triade), la mort, le détachement s’expriment dans des mots qui évoquent tous les arts, celui de la musique en particulier. Mais l’aspect pictural est aussi souvent présent.

Dans cette nouvelle édition, en tout point remarquable, chaque œuvre est précédée d’une préface ou d’une présentation qui facilite l’approche de ce poète, qui était d’une furieuse exigence vis-à-vis de ses vers. Rien de commun, de banal dans ce monument poétique. La présentation graphique, la mise en page, les notices, les variantes, tout a été mis en œuvre pour permettre au lecteur de se hisser au niveau du poète et d’avoir grand plaisir à sa lecture.

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