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Shootoir: lettre à un jeune PLR urbain

Félicien Monnier
La Nation n° 2060 23 décembre 2016

Mon cher,

Nous aimons tous les deux cette ville de la même passion. Certains soirs, nous nous croisons dans les mêmes bars. De temps à autre, une terrasse nous réunit pour une salade estivale. Le samedi au marché, alors que tu combats pour ton élection, il m’arrive de faire un détour au stand de ton parti pour te serrer la main: concession démocratique d’un rédacteur de La Nation. Le Pays rassemble des gens avant des idées.

Depuis plusieurs semaines, le local d’injection – «espace de consommation sécurisée» pour les technocrates, «shootoir» pour les intimes – occupe une place importante dans le débat politique lausannois. Des personnalités importantes pour ton parti y sont favorables. La position du PLR sur ce projet pèsera lourd en cas de référendum. Reçois ces quelques arguments en faveur de l’opposition. Et permets-moi d’emblée une petite pique: Marcel Regamey, le fondateur de la Ligue vaudoise, aimait à dire – citant probablement Maurras ou Daudet – que le libéral est un homme qui croît que sont adversaire a raison. Le local d’injection risque d’être la démonstration de cet axiome. En 2007, ton parti votait NON au «shootoir». En 2016 il hésite.

Pour vous gagner à sa cause, la gauche s’est attifée de bon sens. Du même coup, elle exploite certaines de vos faiblesses. Elle vous fait croire que le problème de la drogue à Lausanne sera réglé définitivement et qu’il le sera de manière pragmatique. Je t’entends donc déjà déclarer d’un air entendu, la voix à la fois grave, autoritaire et décidée: Non mais ouais… aujourd’hui il faut être pragmatique. On ne peut plus accepter cette situation. Il faut régler le problème et faire preuve de bon sens.

Il se trouve qu’en politique, l’adjectif «définitif» n’a pas droit de cité. Tu le sais par ton activité économique professionnelle: aucune décision ne peut appréhender toute la réalité – et du même coup lui faire un sort éternel. Le shootoir est une «mesurette». Il sera trop petit et insuffisant à atteindre même les ambitions qu’il affiche. En réalité, il est un symbole. La gauche en a fait le drapeau de sa conception banalisée de la drogue. Rappelle-toi qu’elle veut aussi libéraliser la consommation de cannabis à Lausanne. Un symbole est bien impropre à régler définitivement un problème. Je sais que tu admettras cela. Mais il suffit qu’une brochette de policiers soit inscrite au budget pour que tu te sentes satisfait, te contentant d’avoir pu montrer les muscles.

Trop souvent les radicaux ont cédé aux sirènes du règlement définitif du problème. En s’obstinant à être le parti de la synthèse, on devient surtout le parti de la concession. Cela a été ainsi en matières scolaire avec EVM et la LEO, militaire avec Armée XXI, européenne avec l’EEE. C’est ici la faiblesse fondamentale du bourgeois libéral. Son confort prime les principes. Le «propre en ordre profitable» devient l’aune de sa décision.

En espérant qu’on ne parlera plus de drogue à Lausanne une fois le shootoir voté, le bourgeois libéral refuse d’engager un combat aux enjeux civilisationnels et mondiaux: celui de la place de la drogue dans nos sociétés occidentales. Il en va d’une conception de la liberté, de notre vision de la médecine, du rôle de l’Etat face au mal. Ce combat est plus métaphysique que les technocrates ne veulent nous le faire croire. Il nous plonge «au cœur des choses», aurait dit Camus. Il n’y a pas que les coûts de la santé ou les chiffres d’affaire des commerçants lausannois qui comptent.

D’autant plus que l’idée que ta fille se drogue un jour est une de tes phobies. Tu hais le dealer qui te harcèle à Saint-François. Tu méprises pour sa mollesse celui qui se noie dans les fumées du cannabis. Et pourtant tu cèdes; au nom du pragmatisme.

Ce dernier compte certes en politique – en politique communale encore plus. Mais il y a aussi les principes et la doctrine. Le pragmatisme n’est pas un principe de pensée, c’est un principe de gestion. Et le pragmatisme seul ne mène à rien s’il n’est sous-tendu d’une doctrine qui le justifie. Celle-ci doit être première. Ton adversaire socialiste l’a compris depuis belle lurette. On ne compte d’ailleurs plus les fois où tu lui as reproché son absence de pragmatisme. Elle était induite par son idéologie foncièrement irréaliste. Tu ne te fais généralement pas avoir en matière financière ou fiscale. A ta place, lorsque, comme par magie, la gauche tend la perche du pragmatisme, je me méfierais.

La situation politique actuelle de Lausanne est sans précédent dans l’histoire vaudoise. En 1934, lorsque Lausanne est devenue «Rouge», il y avait encore un radical et un libéral à la municipalité. Sur cent conseillers communaux, cinquante-cinq seulement étaient de gauche. Aujourd’hui, ils sont soixante et un. Actuellement, la droite ne compte qu’un municipal sur sept. Les déboires de l’UDC lausannoise ont encore affaibli sa force de proposition.

Depuis les années huitante, le combat social a fait place au combat sociétal. Le choc des valeurs a remplacé la lutte des classes. Le PS s’est institutionnalisé. Ton parti, lui, n’a eu de cesse de perdre des plumes. Parce qu’il présuppose une conception de l’Homme, le local d’injection est au cœur de cet affrontement. Il appartient à la jeune garde du PLR lausannois de rappeler ce qui la différencie de ceux qui vous ont humiliés au printemps dernier. Dans ce contexte, obtenir un référendum spontané sur le shootoir serait la moindre des choses, la première des honnêtetés politiques.

En me réjouissant d’en débattre avec toi, je te souhaite, mon cher, un joyeux Noël et t’envoie mes vœux les meilleurs pour l’année 2017. Elle sera politique: j’espère que nous combattrons côte à côte.

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