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Ne renoncez jamais à penser!

Valentine Perrot
La Nation n° 2065 3 mars 2017

Hannah Arendt, philosophe et journaliste, développa le concept de «banalité du mal» lorsqu’elle couvrit en 1961 le procès d’Eichmann, haut fonctionnaire du parti nazi sous le Troisième Reich.

Hannah Arendt partit de ce cas particulier pour donner naissance au concept. «La banalité du mal» désigne l’incapacité d’un individu à être affecté par les actions qu’il commet, son refus de juger et de prendre parti à ses risques et périls. C’est une absence d’imagination. L’individu a la capacité de réflexion, mais il refuse intérieurement d’en faire usage, il répète des paroles toutes faites, des banalités et des clichés. Il est complètement inapte à réfléchir et à porter un jugement découlant d’une réflexion personnelle.

Hannah Arendt se fonda sur le cas Eichmann, car celui-ci commit ce que l’on peut nommer un «crime de bureau». Il était responsable de la logistique de la solution finale et n’avait aucune proximité avec ses victimes; il se contentait d’obéir aux ordres de ses supérieurs; selon Arendt, il dépendait entièrement de l’opinion de ceux qui l’entouraient et il n’avait pas de réelles intentions criminelles. Il avait vu des horreurs et en avait été choqué, voire traumatisé, mais il n’avait pas conclu pour autant qu’il devait démissionner; Eichmann devait être condamné non pas au regard de ses intentions, mais pour avoir soutenu activement une politique dont le but avoué était l’élimination de certains peuples. Eichmann ne fit pas passer sa sensibilité avant la loi, mais la loi avant sa sensibilité, son jugement et sa pensée.

Le concept de «banalité du mal» (qui ne veut pas dire que le mal soit insignifiant) repose sur l’effondrement de la morale commune et sur le fait que les actes les plus monstrueux ont été commis sous des régimes totalitaires par des hommes ordinaires sans tendance criminelle; dans un autre contexte, ils se seraient comportés comme des hommes civilisés effectuant leurs travaux quotidiens et respectant les lois.

Hannah Arendt est très explicite dans son petit livre Considérations Morales (dont le titre original est Thinking and Moral Considerations: A Lecture, Social Research, 1971): Eichmann savait que ce qu’il avait alors considéré comme un devoir était à présent appelé un crime, et il acceptait ce nouveau code pénal comme un nouveau langage, sans plus.

Hannah Arendt part de l’idée que pour accéder à une réflexion pure, il faut se retirer du monde sensible des apparences afin de ne pas être influencé par des opinions toutes faites. Pour prévenir le mal, il faut sans cesse repenser les concepts et ne pas les tenir pour acquis. Le danger est de valoriser l’obéissance aveugle à des opinions ou des doctrines irréfléchies et de s’abandonner à un ordre dont le contenu est adopté, mais pas interrogé.

Pour Hannah Arendt, le jugement ne remplace pas l’action, mais il la rend possible. À ses yeux, ne pas participer à la vie politique pendant une dictature totalitaire ou une situation de crise peut être une attitude politiquement responsable. L’abstention se retourne en action et le retrait prend une signification politique, car les gens ne commettent pas d’actes néfastes engendrant de graves conséquences quand ils réfléchissent aux valeurs qui fondent leur action. L’abstention devient une forme de résistance.

Il est important pour Hannah Arendt de distinguer deux catégories de pensées: les pensées pures et les pensées utilitaires. Pour elle, la pensée pure s’effectue dans le monde métaphysique et les jugements utilitaires doivent se faire dans le monde sensible pour qu’ils aient un impact sur les interactions sociales, sur le système politique et surtout pour éviter les maux irréversibles.

Hannah Arendt fut critiquée maintes fois jusqu’à sa mort, car il était difficilement envisageable qu’un mal inimaginable puisse être commis par des hommes normaux dépourvus de sadisme. Hannah Arendt distinguait les «vrais méchants» des personnes du genre d’Eichmann: elle expliqua que les vrais méchants dialoguaient avec leur conscience et choisissaient délibérément de faire le mal, contrairement aux hommes qui se contentent de ne pas réfléchir, de ne jamais faire de choix et qui n’ont pas d’avis, d’où leur vulnérabilité et leur propension à commettre le mal à leur insu.

Pour elle, les hommes du type Eichmann étaient encore plus dangereux que les «vrais méchants» conscients de leurs actes.

Les hommes ayant refusé de faire le mal interrogeaient sans cesse leur conscience. La morale n’était pas inscrite plus profondément dans leur esprit que chez d’autres, mais leur pensée n’était pas bloquée une fois pour toutes.

Hannah Arendt pensait que l’habitude de penser pouvait éviter des maux, aider l’homme à cheminer vers une morale réfléchie et à se l’approprier.

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