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La libre circulation des personnes en question

Jean-François Cavin
La Nation n° 2066 17 mars 2017

Benoît Genecand est un homme courageux. Le conseiller national genevois, affilié au PLR, a pris le contrepied de son parti en se déclarant opposé à la libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Suisse. Tollé chez les chefs du PLR, sourires en coin chez certains UDC, appel de quelques socialistes à remettre le frondeur au pas.

M. Genecand, au Conseil national, n’a pas soutenu la prétendue loi d’application de l’article constitutionnel contre l’immigration de masse, dont il dit à juste titre: «Un Etat de droit doit appliquer la Constitution. Or, personne ne conteste qu’on ne l’a pas fait avec cette loi.» La question a déjà été traitée dans les colonnes de ce journal. On n’y reviendra donc pas. Sur le fond, il vaut la peine de commenter l’avis du Genevois, car la libre circulation sera probablement bientôt attaquée de front par une nouvelle initiative populaire.

Le parlementaire du bout du lac invoque trois raisons principales à l’appui de sa position: la trop forte concurrence des travailleurs étrangers face aux suisses; la trop grande facilité d’embauche sur le marché international qui, solution de facilité pour les employeurs, les dispenserait de rationaliser et d’innover; la surpopulation. M. Genecand n’a peut-être pas entièrement tort, mais ses critiques et ses craintes nous semblent surfaites.

Afflux de travailleurs étrangers mettant en danger l’emploi des autochtones? Le chômage, dans notre pays, reste à un niveau très bas en comparaison internationale. Il y a bien sûr des situations individuelles où un Suisse, même bien qualifié, ne trouve pas de place et estime qu’on lui préfère de jeunes étrangers moins payés. Mais nous entendons plus souvent des patrons dire qu’ils engagent des gens d’ailleurs faute de trouver des gens d’ici; ils ont au reste une tendance naturelle à privilégier, à qualités égales, le travailleur suisse, pas forcément par patriotisme, mais par souci d’une meilleure intégration à l’entreprise et d’une plus grande stabilité. D’ailleurs, les cas de sous-enchère salariale, dûment recherchés par l’administration publique et les syndicats, sont fort rares (en tous cas en terre vaudoise; peut-être en vat- il un peu différemment à Genève, où les rémunérations restent toutefois très élevées). Et, pour parler d’emploi, n’oublions pas les possibilités ouvertes aux Suisses outre-frontière grâce à la réciprocité de la libre circulation!

Lit de paresse pour les entrepreneurs? On n’a vraiment pas l’impression que notre industrie soit engourdie, ni nos hôpitaux à la traîne parce qu’ils recrutent médecins et infirmières à l’extérieur. Nous n’entendons pas que les techniques de construction, en Europe et dans le monde, permettent de se passer de maçons et d’installateurs. Au contraire de M. Genecand, nous serions presque tentés de dire que la libre circulation, permettant l’engagement de cadres hautement qualifiés, a favorisé la modernisation et la créativité de nos entreprises.

M. Genecand ne parle pas d’un autre souci, plus subtil, plus immatériel: la dissolution des moeurs nationales, dans une population désormais hétérogène. Mais prenons garde au suissisme: il n’y a guère de moeurs indigènes réglant les comportements et animant les esprits dans l’ensemble de la Confédération, sinon peut-être un certain sens civique appuyé sur l’armée de milice (ou ce qu’il en reste), un certain attachement à la paix du travail et un certain goût de la montagne. Notre population est bigarrée de longue date, au niveau suisse bien sûr et même au niveau cantonal. Aujourd’hui, notre Canton abrite beaucoup de Français; le bon accent vaudois est confronté à la concurrence de parlers plus rapides et plus pointus. Mais la présence massive d’Hexagonaux ne semble guère poser de problèmes. Celle des musulmans balkaniques non plus; ils ne sont d’ailleurs généralement pas les bénéficiaires de la libre circulation européenne, mais sont venus au temps de la forte immigration yougoslave.

Cependant, ne sous-estimons pas le risque d’une mutation ethnique engendrant une nostalgie légitime, des frustrations et des tensions, le jour où nous nous réveillerions en constatant que nous ne sommes plus nous-mêmes...

Abandonner la libre circulation, c’est instaurer les contingents. On a connu ce système, qui ne laisse pas de bons souvenirs à ceux qui l’ont observé de près. L’octroi de permis, en nombre gravement inférieur aux demandes de l’économie privée et des hôpitaux, à telle entreprise plutôt qu’à telle autre, donnait lieu à des favoritismes pas toujours fondés, et finalement débouchait sur des décisions arbitraires. Et le travail clandestin prenait des proportions gigantesques. On disait qu’il était impossible à un conseiller d’Etat d’aller au restaurant sans profiter des services d’une sommelière ou d’un casserolier au noir.

Il ne faut pas idéaliser le passé – ou se méprendre sur les inconvénients d’un retour à ce passé – ni assombrir le tableau de la situation actuelle. Sur le principe, notre pays devrait certes avoir la maîtrise de l’immigration. Il ne devrait la limiter que si l’afflux devient excessif – et l’on n’assistera pas forcément à une croissance continue – sur la base d’une clause de sauvegarde. L’UE ne l’accepte pas pour l’instant. Peut-être doit-on se préparer, pour le cas où…, à l’imposer unilatéralement et à affronter au mieux la riposte éventuelle.

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