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Luttes pour un avenir souverain

Lionel Hort
La Nation n° 2067 31 mars 2017

La souveraineté de la Confédération sur le plan international, en premier lieu souveraineté militaire et fiscale, bénéficie grandement de l’existence des droits populaires – ainsi les droits d’initiative et de référendum.

Ceux-ci sont à rattacher au fédéralisme et à la démocratie semi-directe, particularités institutionnelles helvétiques fréquemment, si ce n’est routinièrement, remises en question par une frange importante des différents milieux politiques suisses.

A droite, la conception et l’usage des droits populaires représentent le point de friction principal entre le PLR et l’UDC, en particulier à l’égard de leur rôle dans le maintien de l’indépendance du pays – tension qui s’incarne dans les questions apparentées de la gestion de l’immigration et des relations entre la Confédération et l’Union européenne. Depuis la fin de la Guerre froide en effet, ces thématiques n’ont eu de cesse de prendre de l’ampleur, marquant durablement la vie politique à l’image du vote du 9 février 2014.

Plusieurs projets de lois et objets de votations prochainement à l’ordre du jour concernent ces problèmes. Il convient de les passer en revue, tant l’éventuelle combinaison de leurs effets respectifs pourrait marquer un tournant décisif dans la nature même de la Confédération telle qu’elle est définie aujourd’hui.

Le référendum contre la loi d’application du 9 février

En premier lieu, il faut constater que la problématique de la libre circulation des personnes en Suisse et en Europe ne finit pas de défrayer la chronique. Un référendum a été lancé à la suite de l’adoption, plus ou moins tardive, par l’Assemblée fédérale d’une loi d’application de l’article 121a ajouté à la Constitution fédérale (Cst. féd.) à l’occasion du vote du 9 février 2014. A l’origine de la démarche, le politologue tessinois Nenad Stojanovic espère néanmoins que les Suisses accepteront la loi d’application, faisant de ce référendum une tentative «plébiscitaire». L’UDC regrette quant à elle que le texte adopté par le Parlement le 16 décembre 2016 ne respecte manifestement pas l’article 121a Cst. féd. prévoyant quotas, contingents et plafonds à l’immigration, notions littéralement absentes de la loi d’application. Quoi qu’il en soit, le référendum, s’il aboutit, permettra au peuple de se prononcer à nouveau sur la question, et a fortiori de sanctionner le travail du Parlement; avec pour conséquence que le travail législatif devrait être entièrement recommencé par un Parlement récalcitrant – d’aucun évoquant le risque que le texte constitutionnel ne reste de facto indéfiniment lettre morte.

Initiative pour dénoncer l’ALCP

En la matière, et toujours à la suite de l’adoption de la loi d’application décevante du 16 décembre 2016, l’ASIN a annoncé son intention de lancer une initiative visant directement à dénoncer l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), liant la Suisse, le Liechtenstein, l’Islande, la Norvège et les 28 pays de l’Union européenne. Il faut néanmoins rappeler que l’ALCP fait partie des Bilatérales I, groupement d’accords liant la Suisse et l’Union. Ceux-ci comportent la fameuse «clause guillotine» permettant à une partie de dénoncer l’ensemble des accords si l’un d’entre eux, en l’espèce l’ALCP, est dénoncé par le cocontractant. Ces autres accords, couvrant des domaines divers tels que le transport routier et aérien, ne sont pas ou peu controversés, et l’activation de la clause guillotine pourrait avoir des conséquences regrettables tant pour l’Union que pour la Confédération.

L’initiative RASA et ses contre-projets

Finalement, et toujours dans le cadre de la gestion de l’immigration de masse, l’initiative populaire «Raus aus der Sackgasse!»1 (RASA) a abouti en fin d’année 2015. Initiative des perdants du vote du 9 février, celle-ci prévoit la suppression pure et simple de l’art. 121a de la Constitution. Le peuple et les cantons seront donc amenés à voter sur l’initiative RASA elle-même et sur le contre-projet du Conseil fédéral, lequel devrait prochainement choisir entre l’une des deux variantes actuellement en discussion à Berne. En substance, est proposée dans ces projets la conservation de l’article 121a Cst. féd. au prix d’adaptations, celles-ci permettant d’éviter de modifier le système libre-échangiste prévu par l’ALCP. L’article controversé n’aurait alors vraiment d’impact sur le marché du travail qu’auprès des ressortissants des pays non parties à l’ALCP, comme les Etats- Unis, la Russie et la Chine. Il est à noter que la Confédération a entre-temps ratifié le protocole européen élargissant l’ALCP à la Croatie, alors que l’art. 121a alinéa 4 Cst. féd. – alinéa déjà en vigueur et suffisamment clair pour être directement applicable – prohibe toute conclusion par la Suisse de traités internationaux contraires au nouvel article constitutionnel. Si tant est que le protocole puisse être qualifié de traité au sens de la disposition susmentionnée, cette extension de l’ACLP, peut-être nécessaire à la poursuite des négociations entre la Suisse et l’Union européenne sous de bons auspices, semble elle aussi aller à l’encontre de la volonté populaire.

L’initiative pour l’autodétermination

A côté du problème de la libre circulation des personnes, l’initiative «pour l’autodétermination», portée par l’UDC et l’ASIN sous l’égide de Christoph Blocher, a abouti le 6 septembre 2016.

L’initiative, intitulée parfois «contre les juges étrangers», a deux conséquences principales. La première est que les conventions internationales ne doivent en aucun cas gêner l’application du droit interne suisse, c’est-à-dire le bon fonctionnement du système démocratique semi-direct. L’initiative ne devrait pas entraîner une «étude de compatibilité» de toutes les conventions internationales auxquelles la Suisse est partie, mais simplement assurer la primauté du droit suisse contraire au droit international, dès qu’un cas d’application se présente ou qu’une affaire se trouve portée devant le Tribunal fédéral. La seconde conséquence est que la Confédération, quant à l’articulation de son droit interne et du droit international, deviendrait un pays dualiste et non plus moniste, comme le Royaume-Uni par exemple. Sous cet angle, le droit international qui lierait la Suisse nécessiterait toujours une mesure de transposition particulière pour être applicable dans le pays, et non plus une intégration automatique sous réserve de la précision du texte en question et d’éventuelles mesures d’exécution.

L’initiative contre les juges étrangers ne vise pas à dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme, mais simplement à atténuer ses effets lorsque celle-ci s’oppose à l’application du droit suisse. Vu la teneur du texte de l’initiative, il paraît difficile d’imaginer un éventuel contre-projet du Conseil fédéral.

La directive Schengen sur les armes

Touchant un autre aspect de la souveraineté traditionnelle, les instances européennes ont prévu l’élaboration d’une réglementation visant à réguler strictement la circulation et la détention légale d’armes à feu par des citoyens européens. Ce projet, faisant suite aux attentats ayant frappé la France et d'autres Etats ces dernières années, ne devrait normalement pas inquiéter la Suisse. Mais la réglementation européenne en question serait adoptée par le biais de la Convention de Schengen, dont la Suisse est partie à la suite de la signature des Bilatérales II. Ces accords impliquent pour leurs membres la reprise de «l’acquis Schengen», c’est-à-dire une obligation pour l’Etat partie à la convention de retranscrire dans son droit les textes européens dans un délai de deux ans. Ce contrôle sur les armes concernerait donc aussi les miliciens, collectionneurs, tireurs sportifs et chasseurs suisses, et entraînerait la création d’un registre fédéral des armes. De tels registres existent déjà dans les cantons, et une version fédérale centralisée a été refusée en 2011 lors de la votation sur l’arme à la maison. A cela s’ajouterait l’instauration d’un permis d’obtention et d’utilisation d’armes fondé sur une «clause du besoin» obligeant le simple propriétaire à démontrer une véritable nécessité de posséder des armes. Cette manière de voir va manifestement à l’encontre de la conception helvétique de la neutralité armée et du citoyen-soldat autonome et responsable, ainsi que d’un peuple armé donc libre. Un référendum contre un acte de droit suisse reprenant la régulation européenne pourrait être lancé par l’association Pro Tell, ce qui risquerait à terme d’entraîner la suspension par l’Union européenne de l’application des accords Schengen à la Suisse.

L’accord-cadre institutionnel

Le dernier élément à ajouter à cette liste d’objets de votation concerne là encore les relations entre la Suisse et l’Union européenne. Emmenée à nouveau par Christoph Blocher, l’association de militants «UE-NON», réseau actuellement discret, prépare la campagne contre l’accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne. Cet acte, qui caractériserait un rapprochement certain avec l’Union, cherche à régler les problèmes d’interprétation liés aux traités bilatéraux: la Cour de justice de l’Union européenne deviendrait l’instance suprême en cas de litiges et sa jurisprudence lierait les juridictions suisses, ce qui entraînerait dans les faits une reprise automatique du droit européen. Les milieux souverainistes craignent alors que les acquis communautaires européens ne deviennent intouchables, et que la signature de l’accord-cadre institutionnel n’entraîne in fine l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne. Il s’agit du retour de l’EEE, refusé par le peuple et les cantons le fameux 6 décembre 1992.

Les différentes batailles politiques qui vont être menées durant ces cinq prochaines années vont décider du sort du système institutionnel suisse tel qu’il existe aujourd’hui. La Nation reviendra en détail sur les votations mentionnées ici, mais il est important de les considérer préalablement dans leur ensemble. On verra bien si le peuple abdique lui-même des pans entiers de sa souveraineté par un renoncement aux outils de la démocratie semi-directe, ou si la Confédération s’impose à l’avenir comme un acteur de la scène internationale farouchement attaché à son indépendance.

Notes:

1 En français «Sortons de l’impasse». Voir à ce sujet l’éditorial d’Olivier Delacrétaz dans La Nation n° 2065.

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