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Il faut lire Jérôme Leroy

Félicien Monnier
La Nation n° 2069 28 avril 2017

Un peu tard dans la saison est le dernier, peut-être le meilleur roman de Jérôme Leroy. L’ouvrage vient de sortir aux éditions de La Table Ronde. Cela annonce déjà la couleur. Cette maison parisienne a gagné ses quartiers de noblesse en publiant les Hussards, Michel Déon, Roger Nimier, Antoine Blondin et Jacques Laurent. Parallèlement, elle publiait les "sages" de la droite littéraire de l’époque: Montherlant et Morand.

Parfois qualifie de néo-hussard, le style de Leroy n’a rien à leur envier. Percutantes et rapides, les ouvertures de ses romans ne se laissent pas oublier. Dans Le Bloc : "Finalement, tu es devenu fasciste à cause d’un sexe de fille"1 ; dans La Minute prescrite pour l’assaut : "Kleber rencontra Sarah peu avant la fin du monde"2 ; ou encore dans L’Ange gardien : "On veut tuer Berthet. C’est une assez mauvaise idée."3 Son style fait plus l’unanimité que ses options politiques.

Jérôme Leroy rend le journaliste perplexe. Tapez "Jérôme Leroy écrivain" sur Google et la seconde image proposée montre un Leroy blotti contre sa femme, à quelque banquet de la Fête de l’Huma’. Son blog (étrangement hébergé en Suisse), Feu sur le quartier-général, nous révèle un marxiste bien charpenté, n’hésitant pas à défendre Poutou contre Fillon et Le Pen: "Ils peuvent toujours appeler au secours Bouvet ou Zemmour, ou d’autres chiens de garde qui aiment les pauvres tant que les pauvres s’en prennent à l’Arabe, au pédé, aux avortées, (et surtout pas aux patrons), ils peuvent continuer de mal lire Orwell ou Pasolini"4.

Mais surprise! Son blog reprend ses chroniques pour le journal Causeur, d’Elizabeth Levy, volontiers qualifiée de néo-réac. Car tout communiste qu’il soit, un bon bout de chemin peut être fait avec Leroy. Qui ne manquerait sans doute pas – et à juste titre – de rigoler d’une telle récupération; se moquant au passage de ceux qui le traitent de rouge-brun. Il leur répondra à raison que l’auteur n’est pas le narrateur. Mais sa seule passion des nuances le rend déjà suspect à ses contemporains.

Son ennemi politique semble être la postmodernité. Il n’a de cesse de dénoncer le virage sociologique et doctrinal du début des années huitante: apparition du Sida, choc pétrolier et "tournant de la rigueur" mitterandien de 1983. Avec une obsession, parfois lassante admettons-le, il regrette le "Monde d’avant", pour décrier le "Monde d’après", ne de la destruction des structures traditionnelles et de classe. Les ruines de cette destruction sont pour Leroy le terreau favori de l’extrême droite.

Le lecteur politique lira avec délectation les pages ou ses personnages attaquent l’idéologie dominante: le libéralisme et son nouvel ordre moral, son hygiénisme mortifère, sa festivité obligatoire, ou les régressions économiques sont fardées des atours de la coolitude."On en était arrive à l’époque d’Airbnb, ou une population paupérisée qui ne voulait pas admettre sa paupérisation laissait loger des inconnus du monde entier chez elle et faisait de même chez les autres. Pas étonnant que tout se soit écroulé aussi vite: on faisait passer pour “ sympa ” ce qui était une obligation économique, comme les colocations, qui ne sont jamais qu’un internat pour adultes."5 Toute la postmodernité est dans ces quelques lignes: la consommation des voyages low-cost, le globe-trottisme obligatoire, la perpétuation de l’adolescence qui est le refus de la responsabilité.

L’idéologie atteint son paroxysme dans le décor même de la majorité des romans de Leroy. On y découvre une France en proie au chaos et à la guerre civile. Dans les banlieues agissent en sous-main des milices privées fusionnées en escadrons de la mort avec la police nationale. Une crise écologique, reproduisant chaque année de mars à octobre une effroyable canicule, aggrave l’ensemble du tableau. Il s’agirait du "stade suprême du capitalisme, qui n’est pas, contrairement à ce qu’avait cru Lénine, l’impérialisme, mais l’apocalypse"6.

Cet inquiétant décor voit surgir plusieurs personnages archétypaux. La figure centrale de plusieurs romans est un écrivain, ancien professeur de lycée dans le Nord. Leroy le décrit habille comme un conseiller du président Kennedy, coupe en brosse, chemise brooks brothers, penny loafer aux pieds; des Weston le plus souvent, restons français! Il est souvent – l’auteur le reconnait – une caricature de Leroy lui-même.

Communistes, ils regrettent la désertification des banlieues rouges. La technocratie pompidolienne les afflige. Le bling-bling de Sarkozy les déprime.

Ils vouent au bobo une haine féroce. Ils accusent cette génération de prendre pour "authentiques" des standards commerciaux globaux, à commencer par le bordeaux parkerisé. Car l’alcool tient une place de choix dans le monde de Leroy. Chez lui, le chablis s’avale au magnum, les Carmélites Triples arrosent les bavettes de bœuf et le Bushmill Malt se boit en conduisant, si possible un beau cabriolet grillant ses dix litres. Consommer l’alcool à outrance est une manière d’affronter l’hygiénisme ambiant, et d’oublier que le monde s’engloutit.

La petite immigrée de banlieue – que le narrateur trouve héroïque lorsqu’elle fait ses devoir "le plus souvent dans des appartements surpeuplés ou des grands frères qui ne foutaient rien les prenaient pour des boniches et voulaient “surveiller leurs fréquentations”" – aussi, est une figure récurrente. Dans L’Ange gardien, Leroy la décrit devenant ministre grâce à la protection distante d’un agent spécial du ministère de l’intérieur. Reprenant la trame de L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly, Jugan7 met en scène une beurette tombant sous le charme d’un ancien d’Action rouge (entendons Action directe), défigure et sortant de prison.

On croisera parfois une jeune femme officier de gendarmerie, belle, sportive et cultivée, amante de colonel ou fille de général, incollable sur les armes à feu – autre passion de Leroy8. Son éducation lui a généralement épargné de sombrer dans les travers de sa génération. Surtout, ces femmes tombent amoureuses, pour de vrai. Entre crises des banlieues, et consumérisme, l’amour est peut-être encore la plus tragique victime de la postmodernité. Ne sommes-nous pas tous comme le capitaine Agnès Delvaux, "d’une génération qui a fait disparaitre le slow et l’a remplacé par la pornographie"9 ?

Notes:

1 Leroy Jérôme, Le Bloc, Gallimard, Série noire, Paris 2012. Il s’agit d’une fiction sur l’histoire du Front national, appelé Bloc patriotique dans ce passionnant polar politique.

2 Leroy Jérôme, La Minute prescrite pour l’assaut, La Table-Ronde, Paris 2008. C’est une histoire d’amour dans une France livrée au chaos politique, à la pollution et à l’épidémie.

3 Leroy Jérôme, L’Ange gardien, Gallimard, Série Noire, Paris 2014. Thriller politique sur fond d’opérations policières spéciales, décrivant la campagne électorale de Kardiatou Diopp (Rama Yade?) contre Agnès Dorgelles (Marine Le Pen).

4 http://feusurlequartiergeneral.blogspot.ch 5 Leroy Jérôme, Un peu tard dans la saison, La Table Ronde, Paris 2017. Le gouvernement constate un phénomène inquiétant: L’Eclipse. Les gens disparaissent parce que le monde les ennuie.

6 La Minute prescrite pour l’assaut.

7 Leroy Jérôme, Jugan, La Table Ronde, Paris 2015.

8 Nous profitons de cet article pour signaler à l’auteur une infime imprécision technique. Dans Un peu tard dans la saison (p. 111), Agnès Delvaux "ramène le chien (d’un pistolet Glock) en position initiale". Il se trouve toutefois que le chien d’un Glock n’est pas manipulable, étant dissimule sous la carcasse.

9 Un peu tard dans la saison.

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