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Les nouveaux visages de l’Eglise?

Joëlle Pasche
La Nation n° 2070 12 mai 2017

Je sais qu’il ne faut pas prendre de décision sous le coup de la colère, mais peut-on écrire sous la morsure du dépit? J’ai lu le dossier consacré aux «nouveaux visages de l’Eglise» dans le journal Réformés1. Et, à la lecture des articles de Gilles Bourquin, je suis terriblement perplexe. Non que je sois prise au dépourvu, ce genre d’analyse, à vrai dire, je l’ai déjà entendu. Mais après plusieurs lectures, je n’ai toujours pas compris s’il s’agissait d’un brainstorming, d’une piste de réflexion ou d’un chantier décidé. Et c’est là que ma perplexité s’épanouit. Car quoi qu’il en soit, j’ai trouvé l’exposé vide et dangereux. Cela peut paraître un paradoxe et c’est pourquoi je vais tenter de m’expliquer.

Le journaliste nous relate que «les responsables d’Eglises»2 pensent désormais exercer sous le règne de «l’économie mixte»3. Il nous énumère les bienfaits d’une telle évolution. Selon lui, l’Eglise va désormais pouvoir s’occuper non seulement des paroissiens, mais également… de tous les autres! A ce stade-là, j’ai ri. Oui, je l’avoue, j’ai trouvé un peu benêt d’imaginer pouvoir prendre en compte un bassin de population aussi important avec les effectifs actuels. J’ai aussi trouvé prétentieux d’imaginer que l’Eglise était capable de répondre au besoin de chacun dans son individualité et ses particularités. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit: nous n’appartenons plus à des communautés, mais à des groupes de personnes en fonction de nos affinités du moment. Tout bouge constamment.

L’article transcrit ce qu’on souffle depuis en haut (non, je ne parle pas de Dieu lui-même), mais n’expose aucun fait, si ce n’est que l’on se dirige vers la fermeture d’un certain nombre d’églises. En revanche, aucun programme concret. Aux pages 14 et15 de ce dossier, on nous a concocté un joli schéma, avec des bulles aux titres alléchants, comme par exemple: «projets paroissiaux novateurs». A l’intérieur de ce rond bleu, il y a inscrit «alternatives non conventionnelles au culte dominical et au catéchisme», puis on nous prie de nous référer à l’article de la page 17 qui évoque la mise en place de ciné-cultes à Delémont… Tout un système de mignonnes poupées gigognes pour proposer des divertissements qui se vivaient au sein des groupes de jeunes paroissiens… il y a vingt-cinq ans!

L’article tire un parallèle avec l’œuvre de Luther. En ces temps de festivités du cinq centième, c’est peut-être de bon aloi. Mais comment comparer la réflexion profonde, posée et parfois douloureuse du théologien allemand, qui lui-même s’inscrivait dans une période intellectuelle foisonnante, avec un programme marketing? Oui, parce que c’est sans aucune gêne qu’il est écrit que tout ceci est tiré «d’une stratégie de marketing»4 ! Mais ce que j’ignore, et qui n’est pas retranscrit, c’est le programme d’une telle stratégie. Or à part un timide «… volonté de transmettre l’Evangile»5, il n’y a rien de précisé.

On ne nous dit pas de quel évangile on parle. Je crois, pour ma part, que l’on parle de la religion de l’amour universel, sans condition ni engagement. Et surtout sans communauté. Ou alors à géométrie variable. Celle où chacun est invité à la carte.

Vouloir prendre soin de chacun, car j’y vois ça en filigrane, est-ce mauvais? Non, certes. Mais à ne vouloir qu’une valeur, même si elle est parfaitement dans le cadre chrétien, on perd l’équilibre. On ne trouve pas de chaise à un pied, si ce n’est dans l’écurie, sauf que l’agriculteur y adjoint ses deux pieds! On oublie tout le reste. Il est dommageable que la fidélité passe à la trappe, que la patience soit si peu valorisée.

Et là encore rien de neuf, cela fait deux mille ans que chacun est invité. Mais ils ont tout de même ajouté une nouveauté de leur cru. Là où Luther voyait l’Eglise comme «le lieu où la Parole est prêchée et les sacrements correctement administrés»6, on nous propose désormais que «l’Eglise véritable apparaît lorsque la Parole de Dieu est non seulement prêchée, mais aussi reçue.»7

Il y a là une nuance dangereuse. Nombre de théologiens ont essayé de définir «la véritable Eglise» et, prudents, ils admettaient que cette tâche revenait à Dieu. Nos autorités pensent-elles pouvoir le remplacer? Dieu serait-il un produit caduc? Ma question demeure. Quel Evangile veulent-ils transmettre?

A force de prôner un amour si vaste, on finit par être contreproductif. Voici le résultat de ces cogitations, la conclusion dudit article: «Le changement dépend surtout de l’ouverture d’esprit et de la volonté de transmettre l’Evangile dans la société.»8 Ce que je lis est: «Si l’on n’adhère pas à ce projet, on n’a pas la volonté de transmettre l’Evangile» et, puisque c’est une exhortation de Jésus lui-même, peut-on encore se réclamer du christianisme?

Notes:

1 Réformés n° 6, mai 2017, «Crise du modèle paroissial, les responsables innovent!», pp. 12-13.

2 Idem, p. 12.

3 Idem, p. 12.

4 Réformés n° 6; mai 2017, «L’Eglise élargit ses horizons», p. 14.

5 Réformés n° 6, mai 2017, «Crise du modèle paroissial, les responsables innovent!», p. 13.

6 Réformés n° 6; mai 2017, «L’Eglise élargit ses horizons», p. 15.

7 Idem, p. 15.

8 Réformés n° 6, mai 2017, «Crise du modèle paroissial, les responsables innovent!», p. 13.

 

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