Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Ni changement permanent, ni quiétude éternelle

Jacques Perrin
La Nation n° 2070 12 mai 2017

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve: soit, mais il existe des fleuves. Quand je me baigne dans le Rhône, je ne nage pas dans la Volga. Une personne peut, paraît-il, changer de sexe, mais est-elle quelqu’un d’autre après l’avoir fait? Change-t-elle d’identité une fois que les autorités ont modifié ses papiers? Les apories concernant l’être et le devenir nous intriguent.

La valeur attribuée au devenir, respectivement à l’être, varie selon les époques et les milieux. Il semble que de nos jours on préfère celui-là à celui-ci. Cette préférence n’est peut-être qu’apparence.

Dans un article récent (La Nation n° 2069 du 28 avril), nous avons relaté les fluctuations affectant la démographie vaudoise, qu’il est en notre pouvoir de soumettre aux principes politiques de toujours.

Dans 24 heures du 6 avril, Mme Cesla Amarelle présentait les actions qu’elle s’engage à entreprendre en faveur de l’école vaudoise. Selon elle, la LEO est, en gros, une loi très satisfaisante, mais, dit-elle, il faut aller plus loin, moderniser davantage. A deux reprises, Mme Amarelle met en garde contre le retour à l’éducation traditionnelle, car la peur de l’évolution est bien mauvaise conseillère. Il faut adapter de façon plus réactive la formation professionnelle aux métiers les plus demandés. L’école subit de plein fouet des mutations sociales et technologiques gigantesques. Les enfants apprivoisent seuls ces évolutions. Ils changeront plusieurs fois de métier dans leur vie. Il faudra leur apprendre la programmation et les algorithmes qui changent notre façon de penser.

Comme tous ses prédécesseurs, Mme Amarelle valorise le changement. Le discours prônant l’adaptation aux mutations est une… constante dans le monde de l’éducation progressiste. Il est empreint d’un vocabulaire injonctif: le verbe devoir apparaît dix fois dans le court article de Mme Amarelle.

Toujours dans 24 heures, M. Jean- Marc Tétaz témoigne des changements affectant l’Eglise et disserte sur la société liquide qui n’est plus celle de nos parents et de nos grands-parents: les relations et les formes de vie sont passées, et passent encore, par des modifications profondes. La logique économique transforme toutes les sphères de la société. La paroisse a été conçue en réaction aux transformations sociales. Elle était un havre spirituel qui répond aujourd’hui de moins en moins aux demandes religieuses des individus. Le christianisme du XXIe siècle, si l’on comprend bien, fait à la clientèle religieuse une offre de sens, valable maintenant, mais bientôt dépassée par les mutations de demain.

Mme Amarelle et M. Tétaz ne craignent pas les changements en cours. L’école et l’Eglise bougent ou vont bouger, c’est bien.

Il y a cependant des ombres au tableau. Les deux auteurs tiennent à certains repères. Mme Amarelle dit qu’à l’école se forgent des valeurs communes. Ces valeurs sont-elles aussi sujettes au changement ou constituent-elles un socle durable?  M. Tétaz prétend ne pas vouloir liquider les paroisses. Pourquoi ne les liquide-t-on pas si elles sont vraiment dépassées?

Quant à nous, dans un sens opposé, nous aurions préféré que le peuple vaudois se renouvelle par ses propres forces, qu’il persévère dans son être propre, mais ce n’est pas le cas. Nous nous faisons à l’évolution, sans enthousiasme.

Ce qui touche au changement est ambivalent. L’âme humaine aime autant l’aventure que le repos. Nous nous réjouissons de grandir et de mûrir, mais nous renâclons devant le vieillissement.

Le changement s’achève soudain et nous ignorons ce qui vient après: la résurrection ou un sommeil infini sans rêves ni cauchemars?

Nous n’avons que trop conscience du «tout passe», pourtant le changement semble garder la cote. L’ennui est intolérable, l’inactivité scandaleuse; les frileux méritent la pitié. Le désir individuel est la norme première; le changement consiste dans sa réalisation. Nos contemporains ont horreur des limites, des frontières, des définitions, des identités et des dogmes dans lesquels ils voient autant de prisons. Ils craignent d’être essentialisés, c’est-à-dire condamnés à rester eux-mêmes contre leur gré. Rien de ce qui existe ne doit subsister si telle n’est pas la volonté de sa majesté l’individu.

Changer de nationalité, de sexe, de nom, d’apparence physique? Ce doit être possible, mais le droit au changement coexiste avec le besoin de sécurité. C’est justement à cause des droits que nous revendiquons que la stabilité redevient enviable. L’individu veut que ses droits soient déclarés, puis fixés en un langage suffisamment univoque pour les soustraire à toute contestation et ainsi ordonner la réalité mouvante. Tous les stigmatisés et les minorités discriminées entendent bien qu’un code protège leurs droits acquis; une fois que l’ordre juridique existant aura été bouleversé, l’ordre nouveau sera conservé aussi longtemps que possible. On désire la révolution pour aboutir à un nouvel état de choses.

Le magazine d’une importante compagnie d’assurances nous affirme que la pédiatrie, comme la médecine en général, est un univers en mutation, mais qu’il faut jouir d’une protection globale pour faire face aux aléas de la vie. La science me dit que ma table est un agrégat d’atomes qui se disperseront un jour. Pour le moment, elle reste en place, c’est bien utile. On déplore le manque de repères. L’aventurier ne part pas sans son GPS.

Le mouvement est incompréhensible sans l’arrêt. Il faut être quelqu’un ou quelque chose pour changer. La rhétorique du risque zéro, de la paix perpétuelle, du repos éternel, est aussi indéfendable que celle de changement permanent que les fanatiques du devenir nous imposent.

L’être et le devenir sont disposés de façon hiérarchique: l’être est premier, car le néant ne change pas, seul ce qui est peut se modifier.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: