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A propos de la culture suisse

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2071 26 mai 2017

Dès qu’on parle du report d’une ou deux années de l’enseignement du français dans l’un ou l’autre canton suisse allemand, les journaux et les politiciens déplorent à grands cris un coup porté à la culture suisse. Existe-t-il vraiment une culture suisse?

Culture est un mot trop souvent utilisé pour avoir une définition bien précise. Dans son sens restreint, elle désigne une relation de la personne aux arts de l’esprit, à la musique, à la peinture et à la sculpture, à la littérature et la poésie, à l’histoire, à la philosophie. On pourrait dire: à tout ce qui lui est nécessaire sans lui être directement utile.

C’est dans cette acception qu’on dit de quelqu’un qu’il est cultivé. Sa culture lui élève l’esprit et lui permet de tenir son rôle dans la société, d’avoir une conversation raisonnable, intéressante, enrichissante avec d’autres personnes, cultivées ou non. Elle lui permet de jouir des productions artistiques aussi bien contemporaines qu’anciennes. Elle lui fait voir mille relations différenciées entre les choses et les êtres. Le monde est pour l’homme cultivé comme une immense caisse de résonnance où tout renvoie à tout.

L’homme cultivé conserve une légère distance d’avec sa culture, ce qui le distingue de l’autodidacte, pour qui se cultiver consiste à amasser un énorme stock de connaissances particulières, qu’il gère de l’extérieur et s’acharne à faire valoir en public. L’homme cultivé pratique au contraire la discrétion, par respect d’autrui et sens des proportions.

Pour certains, la culture s’étend au-delà des activités proprement artistiques ou littéraires. Elle touche à l’artisanat de luxe, par exemple, à la joaillerie, à la reliure, à l’ébénisterie, à la poterie, au design de meubles et d’ustensiles, à la mode. Ces métiers créent des objets qu’on utilise, mais ils sont plus qu’utiles. Par le sentiment de perfection que nous inspire leur adéquation à leur fonction utilitaire, ils touchent à la beauté, contredisant ainsi Théophile Gauthier qui professait que tout ce qui est utile est laid.

Les remarques ci-dessus peuvent d’ailleurs s’appliquer à la plupart des métiers, à l’architecture et au génie civil, à l’imprimerie et à l’édition, à l’industrie, à l’urbanisme, à la médecine et à l’agriculture… Même les institutions politiques font partie de la culture quand, nées de l’histoire, elles ne sont pas de simples schémas juridiques et administratifs, mais expriment, cadrent et protègent l’identité collective.

Cela nous conduit sans heurt à la définition générale de la culture, qui est l’ensemble des productions matérielles et immatérielles d’une communauté humaine. Cette culture imbibe tout le monde, du haut en bas de l’échelle sociale. Elle s’étend non seulement à tout, mais aussi à tous, et le plus illettré émarge encore à la culture où il a grandi.

Cette conception renvoie non à un individu cultivé, mais à une réalité collective historique: la culture française, la culture allemande… la culture vaudoise, la culture suisse.

Laissons la culture vaudoise, qui nous entraînerait trop loin, et revenons à la culture suisse.

Il ne s’agit pas de se battre les flancs pour dénicher à tout prix des «racines culturelles suisses» qui seraient communes à Friedrich Dürrenmatt et à Charles-Ferdinand Ramuz, à Ferdinand Hodler et à Félix Vallotton, à Frank Martin et à Arthur Honegger, et qui constitueraient l’essence de la culture suisse.

Il ne s’agit pas non plus de ce fameux quadrilinguisme qu’à peu près aucun Suisse ne maîtrise et dont nous avons pris l’habitude de nous vanter sans trop de mesure.

Ce qu’on peut désigner comme la culture suisse, outre le goût de la stabilité, du travail bien fait et des machines-outils, c’est un certain esprit de conciliation et de compromis né de la nécessité de faire vivre côte à côte des peuples cantonaux fort différents par la religion, la langue, l’histoire et les moeurs. De ce compagnonnage délicat, la Suisse a déduit une neutralité politique ombrageuse, consciente de ce que tout engagement extérieur risquait de disloquer l’assemblage fédéral. Cette routine diplomatique a engendré une certaine disposition pour les bons offices, ainsi que pour le débat argumenté plutôt que polémique.

Cette culture de la coexistence pacifique est facilitée par le fait que la Suisse n’a jamais connu de guerre civile massacreuse. La guerre du Sonderbund, gagnée en peu de jours et avec peu de morts par un général qui, à l’ancienne, visait une paix à laquelle seraient associés les vaincus, n’a pas suscité de rancœurs durables. La Suisse n’est pas minée par un de ces contentieux historiques dont la France n’arrive pas à se débarrasser. En ceci, elle a conservé quelque chose de médiéval.

La capacité suisse de trouver des synthèses et des arrangements s’exprime aussi dans le domaine du travail à travers ce chef-d'œuvre social que sont les tractations entre syndicats ouvriers et patronaux, ainsi que par un respect – insuffisant – de l’autonomie des cantons et, dans les cantons, selon leur histoire, des communes.

Tout Suisse cultivé sait cela.

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