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Il faut sauver "La Muette"

Yves Gerhard
La Nation n° 2071 26 mai 2017

C.-F. Ramuz n’est pas un écrivain local. Son œuvre, au fur et à mesure de sa publication, a fait de lui l’un des écrivains francophones majeurs du XXe siècle. Les deux tomes de ses romans à La Pléiade sont sortis de presse en septembre 2005; les 10’000 exemplaires de cette édition étaient épuisés en janvier 2006! Un deuxième tirage a eu lieu immédiatement. On ne compte plus les langues dans lesquelles ses romans sont traduits. Ses œuvres continuent à être lues, étudiées, mises en scène.

Marianne Olivieri-Ramuz a pieusement maintenu, durant sa longue vie (1913-2012), la mémoire et la maison de son père: le bureau de l’écrivain est resté dans l’état où il l’a laissé, et les chambres du premier étage ont gardé, avec leur mobilier et leurs tableaux, l’aspect qu’elles avaient durant la vie de Ramuz. Les réfections de ces pièces ont scrupuleusement été faites «à l’identique». D’autres parties de la maison, il est vrai, ont été modernisées: il s’agit de la cuisine et de la salle de bain, ainsi que de l’appartement du rez-de-chaussée, côté est. Mais il existe à ce jour une situation rare: septante ans après le mort de Ramuz, son bureau et les pièces dans lesquelles il vivait sont conservés en l’état. Ces espaces ne touchent pas que l’écrivain: il y a reçu de nombreuses personnalités. Mentionnons ses amis romands, Cingria, Budry, Auberjonois, Mermod, Elie Gagnebin, mais aussi les «grands», Cocteau, Claudel, Gide, Paul Valéry, Stravinsky, Markevitch… Toute une atmosphère de vie, de souvenirs, d’amitiés, d’admirations réciproques hantent ces quelques pièces.

Peuvent en témoigner les quelque huit cents photographies que le Dr Pellet, médecin de Marianne Olivieri et ami de la famille, a fait prendre de cette maison. Dans son ouvrage de souvenirs, publié en 2015, il écrit: «Nul doute que cette maison doit continuer à vivre […]. Cette demeure majestueuse offre aussi de multiples possibilités pour en faire un lieu d’esprit. Il y a ses murs au passé si glorieux, il y a le bureau à l’identique de ce qu’il était jadis. […] Et puis il y a les lieux si souvent décrits, la vue abondamment commentée, bref mille choses qui parlent au cœur et à l’esprit.» Et Michel Audétat, dans Le Matin-Dimanche du 16 avril, cite plusieurs passages des écrits de Ramuz où il évoque son lieu de vie, plein d’émerveillement et de reconnaissance. L’oeuvre est intimement liée à La Muette.

Si nous évoquons cette maison et les souvenirs qu’elle fait surgir, c’est qu’une grave menace plane sur ce patrimoine unique et, il faut le dire, exceptionnel et irremplaçable. L’arrière-petite-fille de l’écrivain, Mme Laure Brossard-Olivieri, seule héritière d’une succession non encore liquidée, a prévu pour cette propriété une transformation lourde, avec l’accord de la commune de Pully. Nous ignorons le détail de ce projet, mais on est en droit de craindre le pire.

Il faut rappeler encore que si Ramuz a pu, en 1930, acquérir La Muette, c’est grâce à un concours de bonnes volontés: le Prix Romand a été constitué pour cet achat, et financé par de très nombreux amis et lecteurs de l’écrivain, et notamment par les dons substantiels d’Henry- Louis Mermod, Werner Reinhart et Marc Chavannes. Elie Gagnebin était l’organisateur de la récolte de fonds, qui fut soutenue par deux conseillers fédéraux, Giuseppe Motta et Marcel Pilet- Golaz. Le Conseil d’Etat de l’époque a également participé à cet élan de générosité. Cette maison est donc un peu la propriété de tous ces donateurs. Elle fait en tout cas partie du patrimoine du Canton, de par la charge émotionnelle qu’elle porte dans ses murs.

«Il faut sauver La Muette»: quelles parties? pour quoi? comment?

Un Comité de sauvegarde de la Maison de Ramuz existe depuis quelques mois. Ses propositions, qui rencontrent notre plein accord, sont claires. Nous les résumons brièvement: le bureau et les trois pièces de l’étage, reliés par un escalier, font un tout et représentent le cadre de vie de l’écrivain. Ces parties doivent rester accessibles au public. Lequel? Le Dr Pellet, vigilant gardien des lieux, a conduit depuis 2012 «plus de quatre cents visites privées, destinées à des admirateurs du monde entier»: cela correspond à deux visites par semaine en moyenne, avec chaque fois une dizaine de visiteurs. Cet ensemble ne doit donc pas devenir un «musée», avec toutes les contraintes liées à des visites nombreuses et constantes. Le reste de la maison: l’appartement du rez, le garage (ancien pressoir) et les combles peuvent être aménagés pour la location. Le jardin pourrait devenir un espace vert public.

Le «comment» pose d’autres difficultés, liées à des blocages divers. Les époux Brossard se sont fait éconduire par les deux services de l’Etat de Vaud chargés de ces questions, les Monuments historiques et les Affaires culturelles, qui dépendent hélas! de deux départements différents. Il faut revenir à la charge: il y aura peut-être un peu plus de compréhension maintenant. D’autre part, il existe une Fondation C. F. Ramuz, créée en 1950, dont les statuts prévoient expressément comme l’une de ses raisons d’être (art. 2, al. 1 c) de veiller «avec la Municipalité de Pully et l’Association des Musées de Pully à la sauvegarde, dans son état actuel, de la maison de C.-F. Ramuz (“ La Muette ”)». Le professeur Daniel Maggetti, estimant que le Conseil de la fondation ne se donnait pas les moyens de remplir cet objectif prioritaire, a démissionné de la présidence de cette institution. Celle-ci doit urgemment intervenir pour remplir l’un de ses buts principaux. La Municipalité de Pully devrait obtenir un appui de l’Etat pour sauvegarder les pièces de La Muette qui le méritent. Le bureau seul (38 m2), sans l’appartement, serait totalement hors contexte et impossible à visiter. Ironisons: pourquoi ne pas le déménager à Rumine?! (Des amis, pour assurer un revenu modeste mais fixe à l’écrivain, avaient obtenu qu’il y donne un cours sur le roman français: il refusa de parler dans une bâtisse aussi affreuse!)

La Municipalité de Pully devrait faire l’effort de réunir les personnes directement concernées par la sauvegarde de ce patrimoine unique, dans le respect de la volonté qui était celle de Marianne Olivieri, et qui reste celle du Dr Pellet, de tous les admirateurs de l’écrivain et des défenseurs du patrimoine.

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