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Le legs d’entretien

Henri Laufer
La Nation n° 2074 7 juillet 2017

Le Conseil fédéral a mis en consultation une révision du droit successoral qui a pour objectif de le moderniser et de l’adapter aux évolutions récentes de la société.

Par évolution récente, on entend naturellement les familles recomposées qui sont de plus en plus fréquentes.

Pour l’instant, seuls les descendants et le conjoint ou, s’il n’y a ni les uns ni l’autre, les père et mère ont un droit réservataire sur la succession d’un défunt, c’est-à-dire que selon la composition de la famille du de cujus, celui-ci peut disposer librement par testament de deux, trois ou quatre huitièmes de sa succession.

Avec la révision proposée, le de cujus pourra disposer librement de quatre, voire six huitièmes de sa succession.

Cette augmentation de la liberté de tester est dans l’air du temps et elle colle à l’individualisme de notre époque.

Parmi ces modifications qui n’ont rien de surprenant, le Conseil fédéral a imaginé une nouvelle possibilité offerte aux personnes vivant en ménage commun depuis au moins trois ans avec le défunt sans être marié ou lié par un contrat de partenariat enregistré avec celui-ci, en gros les concubins et les enfants de ceux-ci.

En effet, l’article 484a nouveau prévoit que, afin de leur assurer un niveau de vie convenable, le juge peut ordonner en faveur du concubin ou des personnes qui dépendaient financièrement du défunt un legs d’entretien, dans la mesure où on peut raisonnablement l’exiger des héritiers, en fonction de leur situation financière et de la valeur de la succession.

Cette disposition est curieuse à bien des égards.

D’abord, selon notre code civil, le legs repose toujours sur la volonté du de cujus. Dans le cas envisagé, il n’y a justement pas de legs, ou peut-être pas un legs suffisant, pour le concubin. Avec ce nouvel article, le concubin peut saisir les tribunaux pour obtenir que les héritiers lui versent quelque chose.

Le projet qui visait une augmentation de la liberté de tester introduit une disposition qui peut expressément contrecarrer la volonté du défunt et de manière d’autant plus choquante qu’il n’est évidemment plus là pour faire valoir sa volonté.

La seconde curiosité de cette disposition est qu’elle est formulée en termes approximatifs, à commencer par le legs lui-même qui, semble-t-il, pourra être versé tant sous la forme de capital que sous la forme de rentes; la notion de concubin aussi est souple, par exemple, peut-on imaginer qu’il y en ait plusieurs?

Certes, on m’objectera que ce projet distingue au moins le concubinage du mariage, et certainement que lors de l’élaboration de ce projet, d’aucuns auraient souhaité que concubin et conjoint survivants soient traités de la même manière, il n’empêche qu’on nous propose un système extrêmement mauvais.

Alors que le projet veut dans l’ensemble tenir compte des familles recomposées, il ne propose en définitive que le tribunal en tordant d’emblée les règles du partage, puisque d’un côté on aura les héritiers, dont les parts légales sont relativement bien définies par le code civil, et de l’autre côté le ou les concubins et leurs enfants qui pourront faire valoir très librement les notions de «niveau de vie convenable», «contribution importante» ou encore de «raisonnablement exigible».

Lors de la consultation, plusieurs personnes ou institutions ont dit tout le mal qu’il fallait penser de ce legs d’entretien, mais, il y a quelques jours, la Chancellerie fédérale a annoncé triomphalement que cette nouvelle disposition avait recueilli un accueil très positif.

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