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Le Consulat de la Mer

Daniel Laufer
La Nation n° 2074 7 juillet 2017

Titre étrange! Par quelle coquetterie Jean-Jacques Langendorf a-t-il voulu faire signe à ses lecteurs, dissimulant son dessein, ou bien au contraire nous y introduisant par une porte secrète? Toujours est-il que Le Consulat de la Mer1 est un fameux bouquin, un livre extraordinaire, original à bien des égards. Jurassien d’origine, Jean-Jacques Langendorf est né à Gaillard (Haute Savoie) en 1938. Il a donc maintenant 79 ans, et il s’avise que le moment est venu, peut-être, de faire ses comptes. Des mémoires? Que non pas! Il entreprend de créer une œuvre hybride où sont disposés en un contre-point habile les éléments essentiels de sa vie, de sa famille, de ses incommensurables lectures et des réflexions qu’elles lui inspirent, de ses aventures aussi, et, parallèlement, la destinée touchante et passionnante du général baron Johann Heinrich Karl Menu von Minutoli, né à Genève en 1772, et mort à Lausanne en 1846, dates et lieux étranges (mais qui ajoutent du sel à ce récit) pour un officier qui a servi toute sa vie et avec fidélité Frédéric-Guillaume III de Prusse.

Le style est si vivant qu’on se prend tout à coup à se demander si c’est Jean-Jacques qui a rencontré le roi de Prusse, ou si c’est M. Menu qui pose des questions à Ernest Ansermet. On sait en effet que le jeune Langendorf, exilé du marxisme pour devenir un noble anarchiste, a vécu longtemps dans l’intimité du Maître, et ça n’est pas le moindre intérêt de ce livre que le portrait en pied du fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, comme aussi le récit de ses hauts faits (l’attaque du consulat d’Espagne) qui lui valurent en Cour d’assises une condamnation ferme de sept mois de prison en compagnie de deux de ses amis, dont l’éditeur bien connu Claude Frochaux!

On découvre ici, non sans surprise, qu’avec une bienveillance exemplaire Ansermet lui-même exprime au tribunal sa réelle affection pour ce jeune homme, quand bien même il juge avec sévérité ses actes de violence. A sa sortie de prison, il lui dédicacera ses Fondements de la musique dans la conscience humaine, avec ces mots: «A mon cher Jean-Jacques, avec l’espoir que la lecture de cet ouvrage lui fera comprendre que les mots formés d’un a ablatif et d’une racine relative à une donnée humaine fondamentale – athée, atonal, amoral, anarchique – indiquent les voies de l’aberration.» Si Langendorf commente alors l’œuvre d’Ansermet avec lucidité, on ne peut nier qu’avec le temps, grâce à de nouvelles rencontres et de nouvelles lectures, il comprendra la leçon; et c’est aussi, pour une bonne part l’intérêt du Consulat que de suivre cette évolution, évoquée sans prétention, entre les chapitres où nous suivons les heurs et malheurs de Menu à la cour de Prusse. On apprend ainsi qu’à la tête d’une escouade il échoue dans l’arrestation de Jean-Baptiste Drouet, «cette canaille dont la dénonciation et le zèle ont conduit l’année dernière (donc en 1791) à l’arrestation du roi et de sa famille à Varennes.» Cet échec lui causera une blessure jamais complètement cicatrisée, pas plus que celle que lui infligera beaucoup plus tard le naufrage du navire qui devait apporter au musée de Berlin les trésors que ce général, devenu égyptologue, avait réunis au cours de ses expéditions dans le pays du Nil, pour le compte de sa Majesté le roi de Prusse.

Que le lecteur ne se méprenne pas, en lisant ces lignes, sur la densité foisonnante de l’écriture langendorfienne. On rencontre dans ce «roman-mémoires» (comme l’auteur l’indique lui-même) une foule de personnages, souvent campés avec un regard admiratif, ou simplement amical (Ah! l’amitié pour Langendorf… c’est peut-être son maître-mot!), comme Jean-Jacques Rapin, Bertil Galland, Vladimir Dimitrijevi?, et tant d’autres, des centaines d’autres…Mais est-ce lui ou le baron Menu qui les a rencontrés?

Notes:

1  Jean-Jacques Langendorf, Le Consulat de la Mer, Infolio éd. 1124 Gollion, 2017, 442 p.

   Le Consulat de la mer est un texte juridique catalan, de droit maritime, de la fin du XVe siècle, qui symbolise pour l’auteur un ordre et une harmonie en voie d’engloutissement.

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