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Frédéric Monnier
La Nation n° 2076 4 août 2017

Dans La Nation n° 2053 du 16 septembre 2016, M. Alexandre Bonnard donnait un exemple de la symbolique des nombres chez J.-S. Bach. Nous voulons prolonger sa réflexion en étudiant sous cet angle le premier chœur du Credo de la Messe en si, chef-d’œuvre dans lequel Bach a concentré toute sa science musicale.

On sait que le cantor de Leipzig a pratiqué cette symbolique des nombres d’abord avec son nom, dont le symbole numérique, calculé selon le rang de chaque lettre dans l’alphabet, est 14 (B = 2, A = 1, C = 3, H = 8); il allait même plus loin en ajoutant les initiales de son prénom: J = 9 (Bach utilisait l’alphabet latin dans lequel I et J sont une même lettre) et S = 18, auxquels on ajoute 14, ce qui donne… 41, soit le nombre 14 inversé! Il y avait là matière à susciter l’intérêt d’un esprit tôt instruit à la symbolique des nombres, mais cet intérêt n’a rien d’extraordinaire, car c’était une pratique courante à l’époque, et même bien avant Bach.

C’est le 7 qui nous intéresse ici, car il fait partie, avec le 3 et le 12, de ces chiffres à forte connotation spirituelle. Il «figure traditionnellement, écrit Gilles Cantagrel1, le monde de la création divine, avec les sept jours de la semaine, les sept planètes alors connues dans le système solaire, les sept jours de la Création dans la Genèse […]. Les sept portes de la Jérusalem terrestre, […] les sept Psaumes de la pénitence. Le musicien y trouve les sept notes de la gamme diatonique». Il n’est donc guère surprenant qu’il structure la première partie du Credo de la Messe en si. Voyons comment.

Il y a d’abord le texte, formé de sept syllabes: Cre-do in u-num De-um. Ce qui conduit le compositeur à écrire une fugue à sept parties sur une intonation grégorienne à sept notes (mi – do# - ré – do# - si – mi – fa#). Mais Bach se heurtait ici à un problème: en raison des limites de la tessiture des voix humaines, une fugue à sept parties vocales distinctement audibles est impossible; il résout le problème en ajoutant deux parties de violon (jouant le plus souvent dans l’aigu de leur tessiture) au chœur à cinq voix. Pourquoi cet instrument, et non pas, par exemple, la trompette ou le hautbois, que Bach utilise régulièrement dans ses cantates pour jouer un thème de choral? Probablement parce que c’est celui qui se rapproche le plus (avec le violoncelle) de la voix humaine. On notera, entre parenthèses, que l’entrée du premier violon se fait à la mesure… 14, mais il ne faut probablement voir là qu’une coïncidence!

Et puis, à ces sept parties de la fugue, s’ajoute une partie de continuo indépendante qui parcourt, à la première mesure, les sept notes descendantes de la gamme de la majeur. Dès le début de la confession de foi, Bach veut ainsi clairement signifier le monde de la création divine.

A la fin de son article, M. Bonnard posait ces deux questions: «Qui veut se risquer dans le domaine hallucinant de la symbolique kabbalistique des nombres? Est-ce une mystification de quelques mathématiciens un peu égarés?». Des exégètes «un peu égarés», certes il y en eut pour Bach, décryptant dans son œuvre toutes sortes de messages plus ou moins ésotériques, certains allant même jusqu’à prétendre, par des calculs farfelus, qu’il aurait su, vingt ans plus tôt, la date exacte de sa mort.

Il s’agit donc de replacer cette symbolique des nombres chez Bach dans de justes proportions, comme le fait Gilles Cantagrel, le meilleur connaisseur en langue française de l’œuvre du cantor: «L’étude de l’usage qu’un créateur aussi enclin à la réflexion théologique et à la spéculation intellectuelle que Bach a pu faire de l’outil numérique constitue donc, mais parmi d’autres et en relation avec elles, une approche légitime de sa pensée musicale.2»

Notes:

1  G. Cantagrel, Le moulin et la rivière, air et variations sur Bach. Fayard, 1998.

2  Op. cit. p. 199.

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