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Les pays baltes: où est-ce au juste?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2080 29 septembre 2017

Départ pour les pays baltes avec quelques amis; aucun de nous n’y a été. On sait qu’on vole vers le nord-est. On a vu des photos charmantes des trois capitales; mais on n’est pas sûr d’attribuer chacune au juste pays; on n’est même pas sûr de situer exactement sur la carte chacun des trois Etats, dont les noms se ressemblent tant. On a pris dans ses bagages L’Europe des surprises de Bertil Galland, miraculeusement paru et parvenu dans nos mains en temps voulu pour se préparer à sentir la nature et la place, au-delà de ce qui fut le Rideau de fer, de ces contrées septentrionales.

Mais est-ce vraiment le Nord? Les immenses forêts sont faites de résineux et de bouleaux, certes, mais aussi de feuillus en grande quantité. Dans les zones déboisées, des pâturages et des cultures; qu’est-ce donc que ce vaste champ qui jaunit? Du seigle, résistant à la rudesse du climat? Non, du blé! Du vrai froment blond, comme on n’en cultive guère chez nous au-dessus de 700 mètres. Le Nord, vraiment?

Quant à la longitude, est ou ouest? Est-on dans l’orbite de la grande Russie ou dans le monde occidental? Ces terres ont appartenu à l’empire des tsars pendant deux siècles (un peu moins pour la Lituanie); puis, après leur première indépendance moderne de 1917 à 1940, à l’empire des soviets durant un demi-siècle. On voit des églises aux coupoles orthodoxes. Il y a des zones russophones, surtout en Estonie, et une population d’origine russe, très minoritaire, dispersée un peu partout depuis des générations. Le russe, parlé à contrecœur par la majorité depuis que le joug du Kremlin rouge a été rejeté, reste toutefois le véhicule de la communication entre ces pays aux langues si diverses.

Mais ils sont fiers et rassurés d’être sous la protection de l’OTAN – qui y a trouvé assez de hautes compétences pour y installer un de ses centres électroniques – et de compter en euros. Et Vilnius la baroque évoque Cracovie ou Brno; Riga, où souffle un air de belle culture occidentale, offre à contempler des avenues bordées d’immeubles «art nouveau» qui nous transportent dans certains quartiers de Vienne; Tallin, avec son cachet médiévo-renaissant, n’est pas loin de telles villes allemandes. Orient? Occident?

Ces trois pays qui se ressemblent à plus d’un égard – proximité de la mer Baltique, plaines sans fin, appartenance des villes à la Ligue hanséatique dans un lointain passé, gastronomie où règne la pomme de terre, pavés ronds des centres historiques martyrisant les souliers des dames – se plaisent toutefois à nous désorienter par leurs  différences. La langue: car ces petits peuples, à eux tous comptant moins d’habitants que la Suisse, ont chacun la leur; si le lituanien et le letton ont quelque ressemblance (autant que le français et l’espagnol nous dit-on), l’estonien nous plonge dans un autre univers linguistique, appartenant au groupe finno-ougrien; nous n’y comprenons strictement rien, mais les voisins de l’Estonie non plus… La confession: si la Lituanie est profondément catholique (en fin de semaine, les églises de Vilnius attendent un cortège ininterrompu de mariés venus faire bénir leur union), les voisins septentrionaux ont passé au luthéranisme depuis la conversion du grand-maître de l’Ordre teutonique. L’histoire: la Lituanie, au XIVe siècle étendait sa puissance de la Baltique à la Mer Noire, avant d’être longtemps mariée à la Pologne sous le double sceptre des Jagellon; cependant que la Lettonie fut polono-suédoise et l’Estonie carrément suédoise avant le triomphe de Pierre le Grand sur le souverain de Stockholm; cela sans parler de l’influence durable des ordres chevaliers-colonisateurs germaniques et de l’époque brillante de l’inclassable duché de Courlande.

Mais ces passés si complexes et divers tendent à l’unité depuis la domination russe dès le XVIIIe siècle, la première indépendance dès 1917, l’invasion nazie en 1940, la «libération» par les Rouges, l’esclavage soviétique, le seconde indépendance dès 1990, l’adhésion à l’OTAN, à l’UE, à l’euro. Alors, un «bloc» balte ou trois Etats avançant aujourd’hui de conserve, mais en gardant chacun son identité et la maîtrise de sa destinée? On ne sait pas.

Car on sait si peu de choses, chez nous, de cette «Mitteleuropa» qui va des Balkans au golfe de Finlande et dont les pays baltes sont les marches septentrionales; cette «Mitteleuropa» qui recèle tant de richesses historiques, architecturales, ethniques, artistiques. Autrefois (qu’en est-il aujourd’hui?), on apprenait aux collégiens vaudois par le menu les moindres convulsions de la Révolution française, mais rien sur le centre de notre continent. Lequel, même si on cherche à le comprendre et à l’aimer, reste en partie un mystère.

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