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Portrait amoureux de Fabrice Luchini

Charlotte Monnier
La Nation n° 2080 29 septembre 2017

A la lecture du titre de cet article, certains d’entre vous ont peut-être fait le pari du nom de son auteur. Il suffit en effet de fréquenter le fil d’actualité de l’incroyable outil de communication qu’est Facebook pour savoir que la soussignée est une admiratrice inconditionnelle de cet acteur, homme de théâtre, orateur, fabuliste et comédien. Il faut donc s’attendre à un portrait qui, entre autres caractéristiques, n’aura pas celle d’être objectif.

Depuis le mois de novembre 1956, moment de sa naissance, Fabrice Luchini dérange, fascine, agace, passionne, exacerbe, horripile parfois, mais attendrit aussi très souvent. On ne sait jamais vraiment ce qu’il pense, ni ce qu’il recherche fondamentalement. Politiquement correct sous de faux airs de provocation ou, au contraire, réel dissident insoumis et anticonformiste mais auquel le talent donne tous les droits? Est-il de gauche, est-il de droite? En admettant que la question ait une réelle importance, il a dans tous les cas compris, comme beaucoup de nos lecteurs, que la solution ne pouvait fondamentalement pas résider dans cette dichotomie stérile. Son objectif est donc assurément de communiquer, avec les moyens d’histrion intellectuel qui sont les siens, combien la démocratie actuelle est condamnée au sacrifice du bien commun sur l’autel des susceptibilités partisanes.

En imaginant que Fabrice Luchini eût été lausannois, fréquenterait-il le mouvement politique hors partis de la Ligue Vaudoise? L’auteur de cet article décide non sans fantasme de répondre que oui.

« Je ne suis pas plus de droite que de gauche, je m’en tape, moi je ne vois qu’une chose, il n’y a qu’une chose qui m’intéresse, c’est me soumettre au génie français et participer à la merveille de cette nation qui a pondu les plus grands écrivains qui existent, c’est ça ma patrie, c’est ça mon parti politique. »1

Fabrice Luchini est aussi atemporel que produit de son temps, aussi hérétique que populaire et aussi classique qu’original. Les plateaux télé se l’arrachent, il est la garantie d’une audience élevée. On le déteste avec amour ou on l’adule avec exécration mais le fait est qu’on le respecte, que son opinion résonne et qu’on en redemande.

D’un point de vue purement académique, Fabrice Luchini n’a jamais fréquenté l’université. Avant d’être repéré par Eric Rohmer, il a quitté l’école à treize ans, il était apprenti coiffeur et chargé de l’épilation du maillot de Marlène Jobert. C’est un autodidacte. Il aime à raconter sa rencontre avec Roland Barthes et la façon dont ce dernier l’a questionné sur son «rapport au téléphone» avant de l’inviter chez lui, causer Baudelaire et La Fontaine, mais aussi Philippe Muray ou encore Flaubert. Il se confie ouvertement au micro de Mireille Dumas sur la question du couple qui l’obsède et qu’il résume et résout par un grandiloquent: « Moi je n’ai jamais été en couple, personne ne m’a jamais dit : « va chercher le pain ».

En revanche, d’un point de vue dramatique, Fabrice Luchini n’est pas entièrement autodidacte. Il a fréquenté à Paris le cours de Jean-Laurent Cochet dont l’enseignement est entièrement basé sur la juste façon de dire les fables de La Fontaine. Nous avons d’ailleurs déjà publié un article sur l’enseignement de Jean-Laurent Cochet considéré, en dépit d’une médiatisation volontairement modeste, comme le plus grand homme de théâtre actuel. C’est en tout cas l’avis d’un certain Gérard Depardieu. Et puis il n’y a qu’à lire ce que Fabrice Luchini dit de son Maître – puisque c’est ainsi que ses élèves s’adressent à lui – dans sa préface à «Jean-Laurent Cochet à la rencontre de Sacha Guitry»2:

« Jean-Laurent Cochet incarne à lui seul le véritable dépositaire de la tradition du théâtre classique telle qu’elle se déploie du XVIIe jusqu’à 2010. Cet homme est l’un des seuls qui puissent donner à un jeune comédien une conscience du passé vivant et, finalement, de l’éternité de la tradition qui dépasse entièrement tout ce qu’on résume par le pauvre mot de “ nouveauté ”. J’ai eu la chance d’avoir Jean-Laurent Cochet comme professeur et je répète inlassablement que le simple fait de le voir enseigner le théâtre classique dans son éternité de vie bouleverse l’existence d’un homme. »

Enfin, le génie théâtral de Fabrice Luchini ne fait planer aucun doute. Il captive l’attention de deux mille sièges en récitant, dans son intégralité, l’inaccessible et nébuleux «Bateau ivre» de Rimbaud et il saurait donner à la lecture d’un bottin de téléphone l’apparence d’un périple initiatique fascinant. Mais qu’en est-il de sa propre production littéraire?

Malgré l’admiration débordante de l’auteur de cet article pour son sujet, personne n’est parfait. En effet, en 2016 est sorti aux éditions Flammarion son livre «Comédie française, ça a débuté comme ça…». Il ne fait aucun doute que Fabrice Luchini en est l’auteur mais l’ensemble de l’ouvrage nous laisse un arrière-goût de «Luchini, sans Luchini». Il nous manque quelque chose. Quoi? Sa théâtralité, sa sur-articulation mythique, sa volonté enragée de ressusciter la parole organique et spontanée d’auteurs morts et enterrés?

Peut-être que la sourde misanthropie du personnage n’y résonne pas assez fort. Puis il nous manque sa voix, un brin nasillarde, cette impression qu’il cherche à abréger l’instant, à s’enfuir du plateau, se retirer du commerce des hommes.

En lisant son livre, on lui reprocherait presque d’être trop avec nous. De nous laisser le choix de l’entendre ou non. Il nous offre l’occasion de passer un moment en sa compagnie, nous sommes avec lui, «ensemble…et quasiment de gauche».

Nous continuerons donc de nous abreuver de ses hystéries théâtrales.

Notes:

1  Propos recueillis par Stéphane Bern, sur RTL, le 9 mars 2016.

2  Jean-Laurent Cochet, Sacha Guitry, Paris, Oxus, 2010.

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