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Une répression d’un autre âge

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2081 13 octobre 2017

Les statistiques sont sans appel: le vol de sacs de vieilles dames est en train d’exploser. Quelques voix conservatrices dénoncent un prétendu «scandale», invoquant la sacro-sainte propriété privée et le non moins sacro-saint respect du troisième âge. Mais ces cris, déconnectés de la réalité du terrain, tombent dans le vide: le vol à l’arraché fait désormais partie de nos mœurs.

Soit dit en passant, ce fait avéré nous amène à constater l’échec total de la politique répressive menée jusqu’ici par les pouvoirs publics.

Une chercheuse en psychiatrie suburbaine affirme qu’un vol de sac à main peut empêcher un processus de radicalisation. A travers ce contact intergénérationnel fugace, en effet, il réinsère le jeune sans repères dans le groupe social et le normalise. Et c’est au nom de cette réappropriation élémentaire de la relation humaine que la doctorante dénonce la présence disproportionnée des forces de l’ordre dans les rues et l’acharnement contre-productif d’une politique axée sur le tout-répressif.

Une expérience tentée au Venezuela par des travailleurs sociaux d’élite encadrés par des policiers triés sur le volet a d’ailleurs montré que la légalisation du vol de sacs permettait d’en réduire considérablement le nombre.

Dans le prolongement de cette expérience, le groupe international Open Handbag, animé par le milliardaire Deep Sorrow, milite en faveur d’une dépénalisation générale du vol. Ces néo-libéraux purs et durs rejoignent ainsi les généreuses intuitions («la propriété, c’est le vol») de Pierre-Joseph Proudhon, le plus fécond des penseurs anarcho-mutualistes.

Une ancienne conseillère fédérale, stipendiée par l’association de M. Sorrow, propose de faire un premier pas en décriminalisant le seul vol de sacs à main. La gauche y est favorable, par souci d’intégration. Le centre et la droite s’y sont ralliés, mais il s’agit surtout pour eux d’en finir une fois pour toutes avec un problème périphérique qui trouble leur confort moral et entrave leurs activités proprement électorales.

Toutefois, les partis bourgeois veulent encadrer cette libéralisation par un train de mesures, concernant notamment les modalités du vol. Le président du PLR a déclaré: «Attention! Nous voulons faire preuve d’ouverture, mais ce, dans le respect rigoureux de nos valeurs traditionnelles.» Les Jeunesses socialistes dénoncent une «attitude rétrograde qui nous ramène tout droit au Moyen Age».

L’UDC, surfant sur les peurs, inonde les réseaux sociaux de photographies et témoignages de vieilles dames «victimes» d’un vol à l’arraché.

Le PDC exige que l’Etat gère lui-même le vol des sacs à main, garantissant du même coup la légitimité de l’expérience et la sécurité des familles. Un impôt substantiel pourrait ainsi être perçu sur le produit de ces «vols», dont une partie servirait à financer un soutien psychologique destiné aux parents des jeunes «voleurs».

La Municipalité de Lausanne a pour sa part dessiné un large périmètre, dit «de transfert autorisé», dans lequel le vol de sacs à main sera dépénalisé, mais dûment contrôlé par des larcinologues expérimentés. Des maroquiniers diplômés s’assureront de la traçabilité et de la qualité des sacs volés, et des hygiénistes patentés contrôleront leur état de propreté avant et après le transfert. De la sorte, on maîtrisera l’entier d’un processus qui, n’en doutons pas, sera suivi de près par les abolitionnistes du monde entier.

Des opposants invoquent l’appel d’air que constituera le périmètre de transfert autorisé et prédisent un afflux massif de petits délinquants en provenance non seulement de toute la Suisse, mais aussi de la France et de l’Allemagne voisines. Ils prétendent encore que les vols autorisés ne remplaceront pas les vols sanctionnés mais s’y ajouteront et aggraveront une situation déjà chaotique. Ils affirment enfin qu’une politique qui vise à combattre le mal en le légalisant ressortit à une politique de Gribouille.

Les autorités lausannoises ont balayé ces arguments au goût de ressassé, soulignant notre immense retard sur l’Europe et appelant les grandes villes vaudoises et suisses à suivre son exemple, dans la perspective d’une future loi fédérale sur les vols de sacs à main enfin digne du XXIe siècle.

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