La supériorité de l’art figuratif
Les amateurs de peinture ont été comblés cet été, avec l’exposition Cézanne à la Fondation Gianadda, celle de la collection Bührle à l’Hermitage et celle de la collection Hahnloser (avec vingt toiles de Vallotton!) au Kunstmuseum de Berne. Tant de chefs-d’œuvre sous nos yeux! Le bonheur est encore renforcé du fait qu’il s’agit exclusivement de tableaux figuratifs.
Nous n’allons certes pas rejeter l’art non figuratif, dit aussi abstrait. Il nous vaut de joyeux éclats de couleurs ou au contraire d’austères compositions noir sur noir, d’étranges formes oniriques ou de rigoureuses géométries, des signes magiques à la Paul Klee qui nous renvoient à l’inconscient, et tout cela sait nous plaire, nous intéresser, nous amuser parfois, et même nous enchanter.
Mais enfin, les artistes figuratifs savent aussi jouer de leur palette en nous offrant des vives fêtes colorées ou de sourdes nuances dans une gamme restreinte; ils s’entendent aussi à prêter à leurs sujets des formes strictes ou voluptueuses; ils savent aussi construire un tableau avec rigueur et imagination pour qu’il constitue à lui seul un univers encadré. Et ils donnent autre chose en plus.
Ils nous donnent une vision du monde. Une vision de la nature dans les paysages, des choses dans les intérieurs et les natures mortes, des hommes dans les portraits. Ils se confrontent à ce monde, en soulignent les beautés (et parfois les horreurs), en dévoilent les secrets. Ils le font chacun à sa manière: pour en rester aux maîtres accrochés à nos cimaises estivales, Cézanne construit, Odilon Redon rêve, Vallotton cultive cette perfection formelle qui tourne à l’ironie et à la provocation, Hodler maçonne ses montagnes et enchâsse ses lacs, Matisse explose de gaieté, Bonnard privilégie l’intimité, Picasso triture pour mieux reformer selon son génie; chacun propose sa représentation du monde – qui est aussi son style – et enrichit ainsi notre propre compréhension du réel.
Car ce «plus» que procure l’art figuratif, le spectateur en bénéficie immédiatement. Il admire certes la palette et le dessin, comme devant un tableau abstrait, mais il entre aussi en dialogue avec le monde par le truchement de l’artiste; un dialogue où il redécouvre la variété des ciels, la gamme étendue des bruns, le foisonnement de la verdure, la grâce des fleurs, la ligne des profils, l’éloquence des regards; un dialogue où l’œuvre qu’il contemple entre en résonance avec son propre regard et la toile de fond de ses souvenirs.
L’art abstrait satisfait l’œil et l’esprit, l’art figuratif donne un supplément d’âme en reflétant la vie.
Référence:
L’exposition de l’Hermitage ferme ses portes ce dimanche 29 octobre; en revanche, l’exposition Cézanne de Martigny dure jusqu’au 19 novembre et celle de la collection Hahnloser jusqu’au 11 mars 2018.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le discours de M. Juncker – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Un portrait des bolchéviques en Suisse – Bertil Galland
- Un excellent recueil d’Anna Gavalda – Valentine Perrot
- La voie unique en catimini? – Frédéric Monnier
- Une impulsion autonome pour le CHUV – Olivier Klunge
- Catéchisme – Laurent et Vincent Paschoud
- Immortels? – Jacques Perrin
- Poissons d’octobre – Le Coin du Ronchon