Un excellent recueil d’Anna Gavalda
Le 17 mai 2017, Fendre l’armure, dernier ouvrage d’Anna Gavalda, a paru en librairie. A première vue, ce recueil de nouvelles peut sembler anodin; son format esthétique est plutôt courant; il est composé de sept histoires, 284 pages au total, et son style d’écriture pourrait être qualifié de «basique»: un français oral et moderne, beaucoup de dialogues, des phrases concises et peu d’adjectifs superflus. «Un recueil tout ce qu’il y a de plus normal d’un auteur parisien des plus ordinaires», pensez-vous sûrement. Cependant, je rejette ce préjugé et vous décris ce recueil de nouvelles pas comme les autres, car vous vous demandez probablement quelles raisons vous pousseraient à courir chez votre libraire préféré pour vous emparer de ce livre.
Anna Gavalda ne se contente pas de raconter platement la vie des divers protagonistes. Grâce à son style d’écriture, elle les fait pleinement exister par l’emploi de la première personne du singulier. Elle fait découvrir aux lecteurs l’univers intérieur de ses personnages, elle les fait exister pour eux-mêmes, bien souvent sans réel décor extérieur. Le dialogue permanent des personnages avec eux-mêmes (Socrate dirait: le dialogue entre moi et moi-même, le moi physique et mon âme) est une spécificité de l’auteur. C’est le seul point commun de toutes les nouvelles. Les principaux protagonistes ne se ressemblent pas: Ludmilla, une jeune femme rebelle dans «l’Amour courtois», une mère veuve et démunie dans «la Maquisarde», Pierre, un père adepte du contrôle et de la mesure dans «mes Points de vie» et d’autres encore.
Anna Gavalda donne à son recueil des fondations psychologiques et sociologiques solides. Certains individus rencontrent constamment des difficultés et, par le biais de l’introspection, de la réflexion et de comportements adaptés, y cherchent des solutions et des justifications. Chaque nouvelle est liée à l’actualité, divers thèmes sont abordés tels le mariage, le couple, l’amitié, la famille, la carrière, la tromperie. Les situations des personnages étant plutôt anodines, le côté extraordinaire des histoires réside dans ce lien permanent entre une vie monotone et un dialogue intérieur riche, voire farfelu.
Nous pouvons tout à fait nous identifier à certains protagonistes ainsi qu’à leur situation personnelle. Du point de vue narratif, les espaces entre les paragraphes et les dialogues indiquent la frontière entre la réalité quotidienne et les pensées intimes, un choix judicieux de l’auteur.
C’est pour ces raisons que cet ouvrage d’Anna Gavalda est d’une singularité prenante. Ces nouvelles apportent une bouffée d’air frais, mettant le lecteur dans des conditions propices à la compréhension de diverses subtilités psychologiques.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le discours de M. Juncker – Editorial, Olivier Delacrétaz
- La supériorité de l’art figuratif – Jean-François Cavin
- Un portrait des bolchéviques en Suisse – Bertil Galland
- La voie unique en catimini? – Frédéric Monnier
- Une impulsion autonome pour le CHUV – Olivier Klunge
- Catéchisme – Laurent et Vincent Paschoud
- Immortels? – Jacques Perrin
- Poissons d’octobre – Le Coin du Ronchon