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La vérité des chiffres

Jean-François Cavin
La Nation n° 2102 3 août 2018

Donner votre sentiment pour ce qu’il est, avec sa part d’imprécision, ce n’est pas très sérieux; même si votre intuition est perçante et votre jugement sûr, votre affirmation reste nimbée d’un voile d’incertitude. Mais donnez quelques chiffres à l’appui de vos dires, et tout devient clair, net, précis, certain.

C’est ainsi qu’on a pu entendre ce printemps sur les ondes françaises que nos voisins jettent chaque année 30 milliards de mégots par terre. Votre vague impression que le sol hexagonal n’est pas toujours très propre devient une certitude, et cette certitude est celle que la doulce France souffre d’une monstrueuse pollution.

TF1 nous a aussi révélé que 1,23 milliard de sandwiches jambon-beurre ont été vendus en France en une année. Chiffre plausible, vu l’excellence de cet en-cas si la baguette est croustillante. On se demande quand même à quoi s’amusent les statisticiens entre deux collations.

Notre pays n’est pas en reste: notre télévision a divulgué il y a deux mois que plus de 50% de la population suisse se sent régulièrement fatiguée ou épuisée. Au niveau de la simple – et parfois saine – fatigue, on aurait pensé que la proportion était plus forte dans un peuple réputé travailleur. Mais ce chiffre censé accablant devait prouver que notre peuple est malade du stress qu’imposent notre rythme de vie et d’odieux employeurs. Espérons que les auteurs de l’enquête, qui ont dû s’éreinter à récolter d’innombrables données, ont bénéficié par la suite d’un repos bien mérité.

Les statistiques à coloration politique portent parfois sur des sujets plus disputés. Ainsi a-t-on pu lire il y a quelques mois que «renoncer aux accords bilatéraux pourrait engendrer une perte annuelle de 10 milliards». Bigre! Quand on regarde de plus près, il s’agit en fait de l’éventuel retrait de la Suisse des accords de Schengen et Dublin, qui ne sont pas à proprement parler bilatéraux. Et quand on scrute à la loupe le rapport du bureau Ecoplan d’où proviennent ces données, on voit que l’essentiel du coût calculé est dû au temps perdu par les frontaliers dans les embouteillages au passage des douanes, désormais de nouveau surveillées. Une estimation rapide nous montre qu’Ecoplan a évalué à 20-30 francs l’heure la valeur de ce temps d’attente. Une somme que la Suisse ne perdra nullement, puisque c’est seulement un coût théorique à charge des frontaliers eux-mêmes…

Mais ce sont des chiffres, donc du solide, même quand on leur fait dire ce qu’ils ne disent pas.

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