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Fausses nouvelles, bonnes nouvelles?

Lionel Hort
La Nation n° 2103 17 août 2018

Dès leur apparition en régime démocratique, les médias traditionnels – presse écrite, puis radio et télévision – ont joué un rôle essentiel dans la formation et dans la manipulation de l’opinion publique, forme diffuse et abâtardie de l’antique doxa.

Au XXe siècle, la problématique classique de l’objectivité du journaliste et de l’honnêteté intellectuelle du pourvoyeur d’informations a connu un renouveau particulier avec le phénomène de «l’intox»; désinformations volontaires organisées tant dans le monde libre que dans les blocs totalitaires par les propagandistes politiques actifs pendant les deux guerres mondiales et la guerre froide.

L’arrivée des fakes news marque un nouveau développement dans cette controverse. Thématique popularisée en 2016 par le Brexit et les élections présidentielles américaines, puis françaises en 2017, ces fausses nouvelles sont intrinsèquement liées à l’apparition des réseaux sociaux.

On peut définir les fake news comme des informations intentionnellement fausses, provenant des réseaux sociaux ou des blogs, des médias traditionnels ou même des administrations étatiques, diffusées dans le but d’obtenir un avantage politique, financier ou militaire – ce dernier point étant particulièrement marqué dans le traitement différencié, par la Russie d’une part et par les Etats-Unis et l’Union européenne d’autre part, des informations relatives aux récents conflits armés en Ukraine et en Syrie.

Selon leur propos, l’on peut rapprocher certaines fake news de tentatives classiques de diffamation et de calomnie, de type «rumeur de village», bien que la manière dont elles se répandent, c’est-à-dire par des milliers de «partages» en relais sur les réseaux sociaux, rende encore plus difficile l’identification de l’auteur du mensonge, et donc l’établissement d’une responsabilité.

Vu par une certaine presse comme un symptôme de sa perte d’influence sociale, le rôle central des réseaux sociaux dans le phénomène des fake news a poussé certains médias à établir des instances de fact-checking, c’est-à-dire de vérifications des faits – contrôles souvent très orientés politiquement, indiquant par là même une légitimité relative et une impartialité douteuse.

Vu l’ampleur du phénomène, dont le vocable en montre bien l’origine anglo-saxonne, le gouvernement français a annoncé en janvier 2018 vouloir légiférer sur le sujet, dans l’idée d’étatiser en quelque sorte le fact-checking. Il existe pourtant déjà un texte applicable: la loi française de 1881 sur la liberté de la presse, qui, à son article 27, punit d’une amende salée quiconque diffusera des «nouvelles fausses, [des] pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faites de mauvaise foi, elles auront troublé la paix publique». 

Le texte adopté par l’Assemblée nationale1, toujours en discussion devant elle suite à son rejet par le Sénat fin juillet, prévoit trois points majeurs.

Premièrement, lors des périodes précédant de trois mois certaines échéances électorales, une procédure judiciaire spéciale pourra être ouverte afin de faire cesser la diffusion des fausses informations dans les 48 heures, soit en retirant les sites incriminés des moteurs de recherche afin qu’ils n’apparaissent plus en première page, soit en faisant directement retirer les contenus litigieux des sites.

Deuxièmement, le texte imposera un devoir de coopération aux fournisseurs d’accès à l’Internet via les réseaux sociaux – tels Google, Apple, Facebook ou Amazon (les puissants GAFA) – afin qu’ils permettent à leurs utilisateurs de signaler les fake news; en plus de ces lourdes modifications de leurs services, ils devront eux-mêmes avertir les autorités en cas de signalement.

Enfin, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) se verra doter de nouvelles compétences, avec la possibilité, notamment, d’empêcher des chaînes de télévision sous influence d’un Etat étranger d’être diffusées en France.

Outre le fatras bureaucratique généré, l’éventuelle utilisation d’une telle loi par le gouvernement pour contrer ses opposants représente un risque évident: comme cela se fait déjà largement, il lui sera facile d’assimiler des idées dissidentes à un complotisme délirant.

De plus, sans parler du temps de délibération très court laissé au juge, les critères qui lui permettront de décider de la fausseté d’une information, au-delà de la banale évidence, seront forcément contestables et contestés, renvoyant là encore à la définition de l’objectivité dans les domaines de la liberté d’opinions et de la presse telle que voulue par le législateur.

Que ce dernier se permette d’inscrire dans la roche friable du droit ce qui est vrai et ce qui est faux est, dans ce contexte, inacceptable et vain: la calomnie et le mensonge existeront toujours, et à l’ère de la prétendue «post-vérité»2, les appels à une maîtrise étatique toujours plus poussée de l’information sonnent plutôt comme une fuite en avant, menant en fin de compte à la censure pure et simple des opinions déviant un tant soit peu du dogme du politiquement correct.

Notes:

1  Le processus législatif et les deux lois adoptées peuvent être consultés à cette adresse: http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/alt/fausses_informations_lutte

2  Lire Jacques Perrin dans La Nation n° 2064 du 17 février 2017.

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