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Lettre à un chrétien non pratiquant

Henri Laufer
La Nation n° 2104 31 août 2018

Cher Monsieur,

Comme moi, vous êtes né au siècle passé, vous vivez par ici, dans une situation confortable, pas forcément dans l’aisance, mais vous avez des amis, autour de chez vous ou dans vos activités professionnelles. Vos parents sont peut-être encore de ce monde ou déjà plus, vous avez des frères ou des sœurs, des neveux et des nièces, et avec certains les relations sont chaleureuses et étroites et avec d’autres elles sont un peu plus compliquées. Vous êtes marié ou peut-être pas, vous avez des enfants ou peut-être pas. Vous avez depuis longtemps un goût prononcé pour une activité que vous pratiquez ou que vous cultivez dans le temps que votre famille ou votre profession vous laisse et vous vous réjouissez d’être à la retraite pour vous y adonner plus librement, plus pleinement.

Probablement, lorsque vous étiez enfant, vous êtes allé à l’école du dimanche, puis peut-être au catéchisme, et vous avez alors même confirmé. Mais déjà à l’époque, ça vous embêtait d’aller après l’école dans une autre sorte d’école, ou peut-être que vous y alliez avec des copains et que c’était assez sympa, que vous n’aviez rien contre ce qui s’y disait, sauf que ça ne vous intéressait pas vraiment, ou bien même peut-être que ça vous intéressait, comme tout ce qui était nouveau dans ce monde où vous étiez enfant, et que devenu adulte vous conservez proprement tout ce qu’on vous y a enseigné, au même titre que vous conservez dans un coin de votre grenier vos premiers carnets scolaires.

Mais peut-être que vous n’avez pas suivi ce parcours de formation religieuse, et vous vous souvenez seulement de vos grands parents et de leur enterrement qui a eu lieu chaque fois dans l’église de leur quartier et, face à ce mystère de la mort, vous vous souvenez  que cette atmosphère respectueuse et bienveillante vous avait bien convenu, mais l’histoire de la collecte pendant ce moment de tristesse vous laisse un sentiment un peu gênant, ou bien cette amie de votre grand-mère qui voulait absolument prendre la parole pendant la cérémonie et qui avait embarrassé toute l’assemblée avec ses propos larmoyants vous irrite encore.

Vous avez donc eu des contacts plus ou moins étroits avec ce qu’on peut appeler l’Eglise ou le christianisme, ça ne vous a pas heurté en profondeur et vous acceptez donc l’idée d’être chrétien, voire, si l’Etat organisait un recensement, au chapitre de la religion, vous mettriez avec conviction une croix sous catholique ou protestant.

Cependant votre emploi du temps ou vos centres d’intérêt ne vous laissent guère de temps pour aller à l’église, d’ailleurs, les quelques fois où vous y êtes allé, vous vous êtes passablement ennuyé ou, pire, vous étiez à peine dehors qu’on vous a proposé de venir au Conseil de paroisse ou au bureau de l’Assemblée paroissiale. Vous n’êtes d’ailleurs peut-être même pas allé à l’église et ça ne vous gêne nullement parce qu’au fond, les questions de relation entre vous et Dieu sont d’un ordre intime et si Dieu est éternel et partout, il n’y a pas de raison qu’Il soit plus présent le dimanche à 10 heures à l’église de votre quartier que n’importe où ailleurs et n’importe quand.

Donc voilà, vous êtes un chrétien non pratiquant, vous n’avez rien contre, mais pas grand-chose pour non plus. En fait, vous êtes très nombreux à vous revendiquer de cette catégorie, et moi qui vous parle, par rapport à certains qui pratiquent leur foi de façon très assidue, je dois certainement être considéré comme peu ou pas pratiquant.

Mais peut-être qu’il convient ici de faire une distinction entre ceux qui ne se disent pas pratiquants simplement parce qu’ils ne sont pas engagés dans une communauté paroissiale et ceux qui ne se disent pas pratiquants parce qu’au fond les questions de foi, de bien, de mal, de finalité de l’existence ne les intéressent pas. Ces deux types ont en commun d’accepter les valeurs et les fondements du christianisme, ils ont aussi en commun de considérer ces questions de foi essentiellement voire uniquement sous l’angle personnel et intime.

Si vous êtes de ceux qui n’ont pas d’attache communautaire, mais qui se laissent questionner par les profonds et vastes enjeux de la foi, je doute que vous ne soyez pas pratiquant, mais vous êtes peu sensible au côté social de la religion, à sa force de ciment pour une société. Je partage votre conviction que la foi est d’abord une affaire personnelle, mais si les générations qui nous ont précédés avaient eu les mêmes convictions que vous, que resterait-il de celles-ci aujourd’hui, sans notre cathédrale, nos églises qui sont souvent des havres de paix au cœur de nos villes et nos villages, sans les cantates, passions et oratorios qui bercent notre vie culturelle, sans les statues et autres tableaux qui témoignent de tant de façons différentes de vivre sa foi? Alors oui, bien sûr, aller le dimanche matin à l’église ne devrait pas nécessairement aboutir à la création d’un nouveau chef-d’œuvre, mais tous ces chefs-d’œuvre témoignent que la religion a aussi une dimension sociale ou communautaire. Aller à l’église, sans être forcément un pilier des structures de la paroisse, de la région ou du synode, c’est en fait reconnaître que cette foi et ces valeurs ne sont pas simplement les nôtres, elles sont aussi celles de ceux qui nous ont précédés et surtout celles que nous souhaitons transmettre à nos enfants.

Si les questions dont on parle à l’église ne vous intéressent pas ou pas beaucoup, je le comprends assez bien parce qu’effectivement, quand on dit par exemple «donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour» et qu’on songe à la nourriture qui déborde de notre frigidaire ou aux choix infinis de victuailles que nous offrent tant de magasins, ce «donne-nous notre pain…» a quelque chose d’assez déphasé. Ou encore «tu ne tueras point»: avez-vous jamais été vraiment tenté de tuer quelqu’un? Il y a dans la manière d’aborder les problèmes à l’église une sorte d’emphase, de théâtralité qui peut nous dérouter. Vous voulez bien accepter que Jésus soit né de Marie – s’il le faut, elle pouvait même être vierge –, qu’il a été crucifié et vous êtes même prêt à ne pas discuter qu’il est ressuscité, mais en gros ça s’arrête là. De mon côté, je ne vais pas vous faire croire que l’immensité de ce récit bouleverse chaque instant de mon quotidien et je dois même vous confesser que je peux avoir des soucis ou des projets qui m’occupent tellement l’esprit que pendant plusieurs jours, ce Dieu auquel vous et moi croyons n’existe plus du tout pour moi, mais peut-être qu’à la différence de vous, lorsque cette pression baisse et que je suis plus calme, je deviens un peu comme un promeneur qui, après une longue marche, sort sa carte pour savoir où il en est de son effort, ou à quelle bifurcation il doit tourner, ou encore simplement pour pouvoir nommer les lieux qu’il voit au loin. Ça ne vous intéresse pas de regarder cette carte?

Avec mes cordiales salutations

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