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«La Coach» de Nicolas Verdan

Vincent Hort
La Nation n° 2104 31 août 2018

Autant Vaudois que Grec, Nicolas Verdan avait entraîné ses lecteurs dans les confins imprécis de la Grèce orientale avec le Mur Grec (La Nation n° 2031). Il revient aujourd’hui avec un court roman d’un tout autre genre qui a pour cadre la Suisse actuelle, banalisée et rationnalisée. Ce pays sans âme et sans racine est rythmé par le balai minuté des trains de Swiss Railways, qui emportent de l’aube au crépuscule leurs lots de pendulaires rivés à leur ordinateur ou à leur téléphone portable.

Dans ce décor blafard, une jeune femme, Coraline Salamin, fait profession d’accompagner les dirigeants d’entreprises dans les difficiles décisions qu’ils ont à prendre. Il s’agit bien souvent de restructurations entraînant des centaines ou des milliers de suppressions d’emplois. Cette fois, son client est le directeur du réseau d’agences de La Poste, ou plus exactement le directeur de RéseauPostal de Swiss Post, qui s’apprête à annoncer une nouvelle vague de fermetures d’offices. Dans la Suisse pas si imaginaire de Nicolas Verdan, toutes les entreprises, même les régies et les offices fédéraux, n’ont d’existence que par leur dénomination anglicisée, soulignant à la fois leur supposée efficacité économique et leur absence d’identité.

Or un grain de sable s’est insinué dans cette belle mécanique néo-libérale. Car la coach a eu un frère, buraliste postal de son état, avant qu’une restructuration lointaine n’entraîne la fermeture de son agence. N’ayant pas supporté cette décision, le jeune homme a mis fin à ses jours en se jetant sous les roues d’un convoi de SwissRailways. Aussi Coraline a-t-elle résolu de se venger. Son coaching vise à pousser le directeur de SwissPost à la faute en portant à l’extrême la brutalité de sa décision. Afin de mieux précipiter encore sa chute, flattant son orgueil, elle l’invite à postuler au sein d’un club de dirigeants cyniques, élite auto-proclamée d’une Suisse économique déshumanisée, qui aura tôt fait de le rejeter.

La manipulation fonctionne. A l’annonce du plan de fermetures, tout s’écroule: l’homme est désavoué, licencié, rejeté, détruit socialement et moralement. Il ne s’en relèvera pas et marche à son tour à la mort. Mais à l’ultime seconde, au moment où le piège va se refermer, une péripétie inattendue inverse tragiquement les rôles…

Le roman de Nicolas Verdan est une fable noire et actuelle. En observateur avisé de son environnement, l’auteur décrit avec précision la banalisation du territoire qui sert de cadre à son récit. « Des quartiers de villas agglutinés autour des derniers vestiges d’une ruralité sous perfusion fédérale et chacun y va de ses préférences : colonnades à la romaine, cube de béton brut avec meurtrières au nord et baies vitrées qui donnent sur le voisin, petits toits pointus contre toits végétalisés, souvent du faux vieux et toujours du moderne mal interprété. » Mais le pire, dans ce décor déprimant, ce sont les dérives de la société moderne, individualiste à l’extrême, gouvernée par le cynisme et la rationalité financière, insensible à la violence exercée par les forts sur les faibles. Nicolas Verdan dénonce ainsi une économie où les rapports entre partenaires sociaux ne fonctionnent plus. « Aux infos, SwissRadio annonce que le front se durcit toujours plus du côté de SwissPost. Les employés envisagent de faire grève contre l’avis de Syndicate, leur syndicat phagocyté par les socialistes […] Ça  se saurait si les socialistes défendaient les postiers. »

Au-delà de l’intrigue entre la coach et son client, le récit sonne comme une mise en garde contre une société en voie de déshumanisation et laisse entendre qu’il est déjà largement trop tard. Il n’y a guère de morale à tirer de ce sombre tableau, si ce n’est, peut-être, que le facteur humain peut parfois venir perturber l’implacable fonctionnement de la machine à broyer.

Référence:

Nicolas Verdan, La coach, BSN Press coll. “Fictio”, 2018, 136 p.

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