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Le harceleur rééduqué

Félicien Monnier
La Nation n° 2105 14 septembre 2018

La récente et terrifiante agression de cinq Genevoises à la sortie d’une boîte de nuit, selon toute vraisemblance par des «racailles de banlieue» venues de France voisine, a fait trembler la Suisse. Un récent article de 24 heures1 a décrit un lien de continuité entre le harcèlement de rue et les violences faites aux femmes. Le raid genevois en serait une expression. Pour Léonore Porchet, conseillère communale verte à Lausanne et activiste anti-harcèlement, cela ne saurait faire de doute: «Jusqu’à maintenant on disait: ce n’est pas parce qu’un homme siffle une femme dans la rue, qu’il va l’attaquer. C’est triste, mais les faits prouvent le contraire.»

Il y aurait une identité de genre, mais peut-être une gradation d’intensité, entre un producteur d’Hollywood libidineux et une petite racaille recourant à la violence pour laver l’affront de celle qui refuse ses avances. Rappelons que celles-ci, dans certaines extrémités, iront jusqu’à la question, on ne peut plus explicite: «Salope! Est-ce que tu suces?» Nos lecteurs pardonneront cet écart de langage.

La droite vaudoise est incapable de répondre à cette problématique. Le PLR lausannois avait, il y a quelques années, distribué en soirée des sifflets bleus pour «lutter contre le harcèlement de rue». Le concept nous en est encore obscur. Ce mutisme est explicable. La vague #metoo et #Balancetonporc a été d’une efficacité inouïe. La chape dont elle a recouvert en une année le discours public – pas les propos de la rue, on l’aura compris – est comparable à ce que l’antiracisme et la lutte contre l’antisémitisme ont mis cinquante ans à construire: l’autocensure, pour ne pas dire le terrorisme intellectuel. Engager intellectuellement le débat avec les militants féministes exige à la fois perspective doctrinale, courage polémique et sens de la nuance.

Le combat anti-harcèlement n’apparaît alors pas uniquement comme l’expression d’une volonté de défense de l’ordre public. En cela, la droite doit prendre garde à ne pas toujours être à la traîne et penser, par exemple, qu’une amélioration de l’éclairage des rues règlera la question. Le combat de Mmes Porchet et consorts plonge ses racines dans une reformulation anthropologique complète. L’idéologie qui anime ces militants est bien la postmodernité: la haine de l’identité et des cadres déterminants, qu’ils soient familiaux, nationaux, culturels ou biologiques. Dans leur perspective, les comportements de harcèlement doivent non pas d’abord disparaître parce qu’ils sont un manque de respect à l’égard des femmes, ce qu’ils sont souvent de la pire des manières, mais parce que le harceleur est sexiste, au sens idéologique. Il est sexiste comme le raciste fait une différence entre les races, le spéciste une différence entre l’Homme et l’animal. Autrement dit, il ose regarder la jeune fille marchant dans la rue en préjugeant qu’elle est une femme. Tout simplement.

Nouvelle expression de l’égalitarisme postmoderne, le combat contre le harcèlement de rue révèle rapidement, dans le développement de ses moyens, ses contradictions. Interrogée dans 24 heures, la socialiste Rebecca Ruiz a désigné quelques responsables de la violence à l’égard des femmes: «Il manque aux agresseurs les valeurs de respect et de considération qui s’apprennent dans la sphère familiale, à l’école, dans les sociétés ou groupes sportifs.»

Vanter les mérites de la famille, de l’école et des sociétés locales a bon dos. Cela revient à oublier que c’est bien la gauche qui, après avoir aboli le chef de famille, a voté le partenariat enregistré, détruit l’enseignement vaudois sur la forme et sur le fond (avec la complicité des radicaux) et développé un appareil étatique gargantuesque, étouffant l’initiative des sociétés locales et des mouvements de jeunesse par mille directives sécuritaires et démotivantes.

Mme Ruiz va jusqu’à désigner comme responsables l’alcool et la drogue, ce qui est pour le moins incohérent de la part de la représentante d’un parti qui en soutient depuis des décennies la libéralisation du marché.

On sera donc autant d’accord avec le propos qu’en désaccord avec les moyens mis en œuvre pour combler ces lacunes. Car en réalité le parti de Mme Ruiz ne veut pas éduquer. Il veut rééduquer. Géraldine Savary, dans une longue interview offerte par le Matin dimanche du 19 août à Madame la Sénatrice, ne dit pas autre chose: «Il faut un gros effort de promotion dans les programmes scolaires. Il faut qu’on cite les femmes dans l’histoire, dans la science, partout. En littérature aussi et pas seulement pour les auteures mais aussi les héroïnes: pourquoi, par exemple, pour Hemingway, prend-on toujours Le Vieil Homme et la mer

La rééducation des Vaudois au respect des femmes aura la théorie du genre en tête de son plan d’étude. Elle martèlera que nature et culture s’ignorent, et que tout est question de volonté, à commencer par celle des parents, fût-elle imposée à l’enfant.

Elle oubliera que la pornographie industrielle est née de la libération sexuelle des années soixante. C’est notamment elle qui, aujourd’hui, fait croire que les Occidentales sont des femmes faciles, supposées hurler de plaisir à la première caresse, même non sollicitée; effaçant du même coup le nuancier des rapports de séduction. N’importe quel juge des mineurs saura décrire combien les enfants sont victimes de la pornographie sur internet. Dans les préaux, la fellation est devenue un moyen d’échange. Cette banalisation affaiblit la nécessité même du consentement.

La rééducation des petits Vaudois oubliera que la vulgarité langagière dont témoignent trop souvent les harceleurs a été institutionnalisée dans l’espace public par de nombreux artistes contemporains subventionnés et toutes les «marches des salopes» et autres «ni putes ni soumises». Cela choquait peut-être le bourgeois il y a trente ans. Aujourd’hui, cela dédouane la petite frappe.

Elle oubliera que sa morale du consentement absolu n’est qu’une version gauchiste de la toute puissance de la volonté, si chère aux néolibéraux. Aussi veillera-t-elle à omettre que l’application de rencontres Tinder2, si populaire par la présomption de consentement qu’elle pose, appartient à un monstre du Nasdaq.

Mais la contradiction ne s’arrêtera pas là. Convergence des luttes oblige, le harceleur demeurera une figure abstraite. Dresser son portrait-robot serait par trop dangereux. Les causes de son attitude ne seront jamais culturelles. Ou plutôt, elles ne pourront être que de culture occidentale. Cuisinée sur les ondes de la RTS par Romaine Morard3, Rebecca Ruiz se cache derrière la condamnation de «tous les comportements de harcèlement» pour ne pas avoir à dire que certaines cultures ont une propension plus grande que la nôtre au mépris de la femme.

La gauche se sait divisée sur cette question. Le prochain débat sur l’interdiction de la burqa lui a déjà fait prendre conscience de cette contradiction-là. Il y en a pourtant d’autres. Elles sont une conséquence irrémédiable de l’alliance de l’égalité et de la liberté absolues. Ce couple permet et justifie tous les excès, y compris ceux du harceleur.

Notes:

1  Florent Quiquerez, Gabriel Sassoon, «Comment en vient-on à taper une femme en pleine rue?»», 24 heures du 17 août 2018.

2  Tinder est une application pour smartphone sur laquelle l’utilisateur, en glissant son doigt à gauche ou à droite de l’écran, refuse ou accepte les photos des utilisatrices se présentant à lui. Lorsqu’une femme «acceptée» a aussi, et par le même processus de sélection, accepté son acceptant, l’application constate un «match» et offre aux deux utilisateurs concernés de communiquer par messages. L’objectif des utilisateurs est rarement d’évoquer les subtilités du fédéralisme et de l’autonomie communale.

3  La Première, La Matinale, 16 août 2018.

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