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Occident express 13

David Laufer
La Nation n° 2105 14 septembre 2018

Les chauffeurs de taxi belgradois sont très volubiles. Celui d’hier soir n’échappait pas à la règle. Il m’a donc raconté quand, comment et pourquoi il comptait quitter Belgrade pour émigrer en Allemagne. Là-bas, près de Düsseldorf, l’attend un emploi de chauffeur de camionnette. Avec ses trois enfants et sa femme, il est bien installé sur sa rampe de lancement et n’attend qu’un feu vert pour jaillir vers le paradis qui, c’est certain, les attend tous les quatre.

Voilà comment les pays d’Europe de l’Est perdent des dizaines de milliers de citoyens par an, à 77% au profit de l’Allemagne. Le rythme d’émigration a triplé depuis 2010. En 25 ans, il est estimé que l’Europe de l’Est a perdu 6% de sa population, c’est-à-dire 18 millions d’habitants, l’équivalent de la Hollande. Pour le démographe Emmanuel Todd, l’un des rares scientifiques à prendre ce phénomène au sérieux, cette hémorragie «remet en cause l’existence de ces pays en tant que nations». On peut remercier la politique européenne de libre circulation des personnes, dont les effets, qui ont déjà provoqué le Brexit, sont en train de transformer toute la région en mine à travailleurs. Pour 2017 uniquement, la Serbie compte une perte de sèche de 34’000 personnes, toutes plutôt jeunes et formées.

Mais le pire n’est pas là. Mon chauffeur se vantait d’avoir la solution à tous ses problèmes. «Mon cousin m’a dit que je vais gagner 1’700 euros par mois! Quand j’ai tout payé, il m’en reste encore 500 dans la poche!» C’est ainsi que des familles entières, la tête bourrée de contre-vérités et d’illusions, brûlent leurs vaisseaux et se retrouvent ensuite coincées dans des emplois qui les nourrissent à peine. Mais le Serbe est fier. Il crèvera plutôt que d’avouer que tout cela n’était qu’une entourloupe destinée à faire baisser le prix du travail en Allemagne et à le réduire, lui et ses semblables, dans un esclavage moderne. La question qu’on devrait se poser, mais cela reste encore un tabou dans l’Europe contemporaine, est de savoir si cette politique allemande de domination n’est pas la récurrence, sous une autre forme, d’une vieille tendance historique.

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