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Occident express 17

David Laufer
La Nation n° 2109 9 novembre 2018

Les Serbes sont un peuple de paysans. On pourrait ajouter qu’ils sont guerriers. Mais s’il est indéniable que la guerre est un de leur passe-temps favori, ils ne s’y sont jamais résolus que pour garder leurs terres – et pour les cultiver. Le paysan est par définition un homme libre. Pauvre, souvent, peut-être, mais libre. Est-ce pour cela que nos sociétés centralisées et contrôlées les ont peu à peu éliminés? Comme tous les paysans, les Serbes sont piètres commerçants. Dans l’achat comme dans la vente, ils se sabordent par des excès d’honnêteté ou des débordements de fierté. Dans un restaurant qui venait d’ouvrir, je me suis récemment enquis des spécialités auprès du serveur. Baissant le ton, il m’a confié qu’à part les frites, «et encore», la cuisine ratait à peu près tout, que les viandes étaient trop grasses, les légumes trop cuits, bref, que ce restaurant était un bouge à éviter absolument. Lorsque je me suis levé pour suivre son conseil sans passer par la case indigestion, il m’a offert un large sourire et rendu mon paletot en me souhaitant meilleure fortune dans un autre établissement. Alors que nous tentions d’acquérir un appartement, nous sommes tombés sur une invraisemblable collection de vendeurs. Celui-ci triplait le prix de son poussiéreux appartement car «c’est ici qu’est née ma fille». Celui-là, fils ruiné d’un grand peintre, me proposait une «reproduction originale» d’un tableau de papa pour «rien du tout, disons, mille euros». Pour un Serbe, tout prix est excessivement bas ou élevé. Un prix signifie qu’on peut abstraire la valeur d’un objet ou d’un service. C’est un exercice presque impossible dans un pays où seuls comptent les liens familiaux, l’honneur, la tradition et les rêves de grandeur, de vengeance et de fortune que nourrissent ici jusqu’aux cireurs de chaussure. Il y a deux semaines, au sud du pays, comme le fonctionnaire des expertises automobiles lui avait expliqué qu’il lui faudrait investir plus de mille euros pour mettre son véhicule aux normes, le propriétaire est reparti et a incendié sa vieille Opel. «J’ai pas cet argent. Et je veux pas qu’on me la rachète», expliquait-il au journaliste.

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