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L’homophobie doit-elle être poursuivie pénalement?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2117 1er mars 2019

Il y a environ vingt-cinq ans, le peuple suisse acceptait l’article 261 bis du Code pénal qui visait, notamment, à punir l’incitation «à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse». Récemment, les Chambres fédérales ont décidé de l’étendre à l’«orientation sexuelle». Un référendum a été lancé. Nous le soutenons, comme nous avions soutenu à l’époque le référendum contre le 261 bis.

Notre opposition d’alors reposait sur le fait que le Code pénal sanctionnait déjà les insultes et les atteintes à l’honneur, la calomnie et la diffamation, les coups et les blessures, ce qui rendait inutile une loi particulière dédiée aux appartenances raciales, ethniques ou religieuses. En outre, nous jugions la notion d’incitation trop floue pour assurer la rigueur et la sécurité du droit dans un domaine aussi sensible. Enfin, la liberté d’expression restait à notre avis le cadre indispensable de la recherche de la vérité. Les erreurs de pensée et de jugement ne doivent pas être interdites, mais réfutées par des arguments.

Les partisans revendiquaient aussi l’importance symbolique de l’article qui, à elle seule, le rendait philosophiquement nécessaire. Nous soutenions au contraire que la fonction d’une disposition pénale n’est pas de servir de symbole, mais de sanctionner efficacement et proportionnellement un délit clairement défini. Or, une telle loi-symbole déclenche des associations d’images émotionnelles qui la font souvent déborder de son objet, d’où une incertitude juridique paralysante: «Suis-je coupable ou non en disant ceci ou en faisant cela?» Cette incertitude entrave la liberté d’expression au-delà du strict nécessaire exigé par l’ordre public. Une loi-symbole est moins un rouage du droit qu’un vecteur idéologique et, en général, le cheval de Troie d’un groupe de pression.

Il est discutable de créer une disposition pénale concernant spécifiquement une partie de la population. C’est mettre du même coup un instrument officiel de contrainte à la disposition de ses représentants. C’est accorder à ceux-ci ce qu’on nomme un privilège.

Et quand ces représentants sont des militants connus pour leur intransigeance, la disposition pénale, augmentée de sa portée symbolique, devient entre leurs mains un moyen redoutable de pression sur les médias, sur les partis qui se soucient avant tout de leur «image» publique, sur le simple particulier et sur les tribunaux.

Dans cette ambiance, il suffit d’être soupçonné pour devenir, sinon coupable, du moins infréquentable. Plus, le simple fait de s’opposer à une telle disposition par voie de référendum vous rend, quelle que soit la nature de vos arguments, suspect d’affinités avec les milieux racistes, antisémites, islamophobes ou, en l’occurrence, homophobes. C’est le mécanisme bien connu de la loi des suspects.

On peut reprendre tous ces arguments contre l’extension du Code pénal votée par le législatif fédéral.

Ajoutons qu’une génération après l’introduction du 261 bis, les paroles et les actes qu’il est censé combattre ne cessent d’augmenter, notamment sur internet. On peut lire et entendre sur les réseaux sociaux des propos inimaginables il y a dix ans encore. Cela pose tout de même la question de l’efficacité de la disposition et, du même coup, celle de la justification de son extension aux orientations sexuelles.

Se pose aussi la question des dommages collatéraux. Des réputations peuvent être détruites par des accusations lancées à la légère ou dans l’intention de nuire. Or, c’est un fait qu’on ne poursuit jamais les dénonciateurs indélicats. Le sentiment qui prévaut, lorsqu’une accusation de racisme se révèle infondée, c’est qu’il serait maladroit de reprocher à l’accusateur d’avoir été un peu trop vigilant: on risquerait de porter atteinte à la cause elle-même.

Sans avoir relu pour cette occasion les deux mille cent seize numéros parus de La Nation, nous croyons pouvoir affirmer qu’on n’y trouve aucun article insultant à l’égard des homosexuels. Ce n’est pas notre combat. On nous rétorquera que, si c’est vrai, la nouvelle disposition ne nous menace pas et que nous avons grand tort d’en faire un casus referendi. Ce n’est pas si simple.

Depuis la création du partenariat enregistré, le législateur suisse, pesanteur idéologique oblige, ne cesse de vouloir rapprocher cette institution du mariage proprement dit. Pour l’heure, nos autorités préparent une loi permettant l’adoption interne, c’est-à-dire l’adoption des enfants de l’un des partenaires enregistrés par l’autre. Cela ne calmera pas les revendications. Certains dénoncent d’autres discriminations par rapport aux couples hétérosexuels. Ils jugent injuste l’interdiction actuelle de l’adoption et de la procréation médicalement assistée, c’est-à-dire, notamment, la fécondation in vitro et la «gestation pour autrui», la GPA. Pour ceux qui l’ignorent, il s’agit de la location d’un corps féminin pour fournir à un couple l’occasion d’adopter l’enfant que la nature leur refuse.

Imaginons que la nouvelle disposition soit acceptée. Les chrétiens, mais aussi les croyants juifs et musulmans seront-ils condamnés pour discrimination et incitation à la haine s’ils s’opposent, au nom de leur religion, à une telle évolution de la loi et des mœurs? De même, aura-t-on le droit d’affirmer impunément qu’en privant l’enfant d’un père et d’une mère, on porte atteinte, avec une désinvolture inadmissible, à des structures anthropologiques si profondes qu’elles échappent à notre maîtrise et nous sont interdites?

Il n’est donc pas absurde de craindre que la nouvelle disposition ne constitue un élément important à l’appui d’un futur combat en faveur de la gestation pour autrui et de l’adoption par les couples homosexuels.

Les partis bourgeois, paralysés par leurs préjugés égalitaires et individualistes, sont sans force sur de telles questions. C’est dire que tout cela doit au minimum faire l’objet d’un débat public. Signez et faites signer le référendum!

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