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Après la manif, tous en avion!

Valentine Perrot
La Nation n° 2117 1er mars 2019

Le 18 janvier dernier, nombreux étaient les gymnasiens à avoir manifesté dans les rues des villes suisses en faveur du climat. Une seconde manifestation a eu lieu le 2 février. Selon les organisateurs, la situation écologique empire, le réchauffement se fait sentir, les glaciers fondent, la banquise se rétrécit, il y a de moins en moins de neige dans les montagnes; les étés se font de plus en plus étouffants, les températures ont grimpé spectaculairement ces dix dernières années. Désormais, la canicule revient chaque été et cela n’est probablement pas prêt de s’arrêter.

La jeunesse des générations Y et Z a conscience de ces changements inquiétants. Il est donc compréhensible qu’elle se mobilise, non pas en réunissant de simples individus soucieux de leur confort, mais en tant que collectif déterminé à se faire entendre des politiques. Nous ne mettons pas en doute la volonté de ces jeunes d’être prêts à divers sacrifices pour préserver l’environnement. La Terre préexiste aux hommes qui ne peuvent l’exploiter à n’importe quel prix selon les exigences du marché.

Cependant, en tant qu’étudiante de la génération Y, je me pose des questions sur certaines contradictions inhérentes au comportement de quelques jeunes de ma connaissance. Je ne puis m’empêcher d’avoir des réserves quant à leurs motivations. A Genève, dix mille élèves ont présenté des excuses signées aux autorités scolaires et la manifestation a réuni … cinq mille personnes. Plusieurs étudiants ont considéré le rassemblement comme the place to be, non comme une action civique. Certains condisciples m’ont confié vouloir surtout retrouver leurs amis, défiler avec eux et passer la journée en ville plutôt que manifester pour une cause.

Les slogans étaient bien tournés, les affiches bien faites, les textes finement élaborés. En matière de publicité, la jeunesse maîtrise les outils communicationnels, même mieux qu’une véritable agence de presse. Les militants ont pris des vidéos Instagram, de nombreux selfies et des photos, créant aussi des hashtags.

Je finis par me demander si leur intérêt se porte sur l’événement en lui-même ou sur leur capacité à s’exhiber sur les réseaux.

Une contradiction flagrante brouille la volonté de s’impliquer pour la planète quand on continue d’avoir des comportements clairement néfastes envers celle-ci. Certains gymnasiens se sont mobilisés pour la cause mais partaient en voyage d’étude une semaine après, toute la classe… en avion! N’auraient-ils pas mieux fait de renoncer à ce moyen de transport pour être cohérents? Il ne s’agit pas uniquement d’un problème concernant la jeunesse mobilisée. Une étudiante parmi mes connaissances est végane et adopte un mode de vie «minimaliste», terme identitaire que cette personne revendique. Elle consomme très peu, trie les déchets et emploie le moins possible de plastique, quitte à prendre une bouteille de verre partout avec elle. Cette manière de vivre est admissible. Il y a cependant un problème majeur: cette même personne est férue de voyages, elle dira elle-même dépenser 29 francs pour un vol, plutôt que pour un objet. Au cours d’une année sabbatique, elle a voyagé une vingtaine de fois pour très peu cher grâce à EasyJet. Les conséquences d’un tel choix de vie sur l’environnement sautent aux yeux. De nombreux spécialistes soulignent la nécessité de rendre les vols plus chers pour que cette consommation touristique cesse, car elle est dangereuse pour la nature.

D’autres comportements à risques sont à mettre en exergue. «Il faut arrêter de manger des avocats! En Amérique du Sud, des forêts entières de pins sont détruites pour en planter au maximum, afin de les exporter!» Ces mots dévoilent une autre contradiction. Pourtant ils ne proviennent pas d’un étudiant en géoscience, mais d’un écolier, Thomas, onze ans, déjà conscient des problèmes posés par l’importation de produits «éthiques». En effet, au Mexique, l’avocat est, selon un article paru le 22 août 2016 dans Le Monde, «l’or vert». Sa consommation croissante en Europe et en Amérique a fait que la demande augmente, ce qui occasionne des déforestations massives. La faune est menacée; les avocatiers consomment énormément d’eau, ce qui modifie le niveau des rivières. Les indigènes sont parfois privés d’eau, car elle est privatisée et réservée aux cultures. De plus ces plantations gigantesques profitent avant tout au «crime organisé», toujours selon l’article du Monde. L’avocat est un des produits que l’on trouve le plus dans les restaurants et Take away végétariens. Je me demande si les fervents défenseurs de la cause animale sont conscients de faire partie des rouages de ce marché destructeur de l’environnement.

Pour que les idéaux ne soient pas vus comme de simples utopies, il paraît nécessaire d’être non pas en parfaite symbiose avec une cause, mais au moins d’éviter les contradictions entre ce qu’on défend et ce qu’on fait. Comment pourrait-on prendre au sérieux la manifestation pour la préservation du climat ou le véganisme si ces causes participent elles-mêmes activement à la destruction de l’environnement?

Certaines dérives environnementales doivent être dénoncées. Pour cela, les manifestations en faveur du climat ne sont pas inutiles. La frugalité et le véganisme sont respectables, mais les militants doivent être en accord avec les principes qu’ils défendent. Il faut que les disciples de Greta Thunberg se soucient de modifier d’abord leur propre quotidien pour qu’un changement réel ait lieu.

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