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Occident express 25

David Laufer
La Nation n° 2117 1er mars 2019

En Serbie comme ailleurs, les campagnards se lamentent de l’ignorance des urbains, et les urbains sont remplis de la certitude d’être civilisés. Seljak, c’est-à-dire paysan, est l’insulte typique ici, l’équivalent en plus méchant de notre péquenot. Depuis vingt-cinq ans, les migrations intérieures massives déclenchées par le démembrement de la Yougoslavie ont rempli les rues de la ville de seljaks. Les immigrés de Bosnie, de Croatie et du Kosovo ont parfois fait fortune et certains tiennent aujourd’hui le haut du pavé. Fiers de leur réussite, ces seljaks qui s’assument suscitent un mépris sans borne de la part de ceux qui se considèrent comme l’élite de la bourgeoisie urbaine et cultivée. Seulement voilà, cette élite supposée subit elle-même les effets de l’émigration extérieure. C’est le lot tragique et éternel de cette élite qui n’est jusqu’ici jamais parvenue à réellement prendre racine autrement que sur de courtes durées. La Serbie a même réussi à produire deux monarchies autochtones, mais sans aristocratie. Il a fallu que Tito reste au pouvoir suffisamment longtemps pour constituer une authentique petite élite culturelle, militaire, politique et scientifique, que les guerres des années nonante ont anéantie ou dispersée. Ainsi les apparences sont trompeuses en Serbie et il n’est pas toujours aisé de distinguer le vrai seljak du faux cultivé. On peut tomber sur un seljak sans éducation qui vous déclame des heures de poésie par cœur, qui tout en plongeant bruyamment son nez dans sa soupe vous entretient de morale et de politique avec le raffinement d’un comte et l’autorité d’un professeur. On peut aussi tomber sur un avocat distingué, vêtu d’un costume de tweed parfaitement coupé, francophone accompli, chevalière à l’auriculaire, qui vous entretient autour d’une bouteille de champagne sur les vertus de l’humiliation des femmes ou de la guerre préventive, ou qui vous explique avec les arguments les plus convaincants pourquoi les Albanais ne sont, en réalité, pas vraiment des êtres humains. Je suppose que c’est là un phénomène universel, mais comme souvent il est porté en Serbie à des extrêmes particulièrement instructifs.

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