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Dire la gloire et la menace

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2119 29 mars 2019

C’est le titre quelque peu énigmatique des chroniques de Jacques Chessex parues dans L’Hebdo entre 2000 et 2001. Elles sont aujourd’hui rééditées aux Editions de l’Aire, nanties d’une belle préface d’Isabelle Falconnier.

Le magazine avait confié en alternance une rubrique libre à trois écrivains, Chessex, Yves Laplace et Eugène. Il semble que les auteurs aient été libres de leurs choix rédactionnels, si l’on en juge à la variété des thèmes abordés: la littérature tient naturellement une place centrale, mais Chessex est aussi éclairant lorsqu’il aborde la peinture (mémorable visite à l’atelier de Sarto) ou le cinéma (Losey, Saura, Jarmusch).

Chessex fut un écrivain de race et surtout un styliste qui fait honneur à la langue française. Des trente-cinq chroniques restituées, il n’en est aucune qui soit médiocre. Presque vingt ans après, elles ont toutes gardé la fraîcheur du premier jour. Chessex est un passionné, un sanguin, qui excelle autant dans ses haines que dans ses admirations. Il étrille Jean-Louis Kuffer, qui a eu l’imprudence d’émettre des réserves à propos d’un recueil de nouvelles d’Etienne Barilier. Les leçons de style de Kuffer sont comparées «aux couinements d’un basset enseignant à respirer à un coureur de fond».

Sartre fait figure «de besogneux maître d’école adaptant son propos de l’allemand. Michel Foucault de savantasse emboîté dans ses tabous sado-masochistes. Roland Barthes de grammairien précieux et incapable d’écrire le seul roman qui l’obsède. L’épais Bourdieu, de père fouettard utile à étonner la province.» Sartre a pris le relais de Gide comme maître à penser après la deuxième Guerre. «Au désengagement de Gide s’est substitué l’engagement de Sartre, et par le nombre aberrant des justifications qu’il a imposées de divers totalitarismes, l’URSS, Cuba, ou le terrorisme intellectuel français des années soixante.» De Gide, Chessex loue la liberté de jugement, la curiosité, l’antipédantisme et, bien sûr, l’élégance classique du style. Il nous donne envie de relire l’auteur de Si le Grain ne meurt: «Et je retrouve avec plaisir mon excitation à lire Gide comme je l’ai aimé à seize ans.»

Certaines chroniques sont d’une fascinante profondeur, telle celle intitulée L’effet Holbein. Il le décrit comme «le noircissement de l’œuvre. […] Le noircissement, c’est le timbre du regret. La fuite du temps. La hantise des choses pas faites, pas consommées, mal vécues, le retour du non-dit, la part du vide.» La plupart des grandes œuvres du génie humain sont marquées de ce signe, que Mercanton avait si bien situé chez Mozart dans un essai pénétrant, Mozart avant l’adieu. Les artistes heureux sont rares, selon Chessex, qui évoque Stendhal, Vailland ou Matisse. Les autres cultivent le memento mori des Romains. «Je me souviens qu’une femme est belle quand elle porte sa plénitude, son attrait charnel et la certitude de son vieillissement qui est la marque de son destin. Ainsi l’œuvre du peintre et du poète aimés: jamais plus accomplie et rayonnante, que mystérieusement désignée pour dire sa gloire et la menace d’où elle vient.»

Notes:

   Référence: Jacques Chessex, Dire la gloire et la menace, Vevey, Editions de l’Aire, 2019, 160 p.

   Remarque: on loue la qualité d’impression du volume, la reliure au fil, la couveture à rabats; on blâme les dizaines de coquilles, résultat d’une correction hâtive et distraite. Miller devient «MiHer», et le lecteur traverse régulièrement des carambolages tels «Blanchot, à Michauxetau».

 

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